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Balises des plans de paiement et seuils d’insaisissabilité: en quête de cohérence ?

Publié le: 19/06/2019 - Mis à jour le : 20/06/2019

Depuis le 30 septembre 2018, en Région bruxelloise, le plan de paiement en matière de dette énergétique n’est plus considéré comme raisonnable « s’il porte atteinte à la possibilité pour le client et sa famille de mener une vie conforme à la dignité humaine »¹.

Une balise très salutaire, même si la « dignité humaine » demeure une notion particulièrement complexe à appréhender, difficile à définir et relative à chaque situation d’espèce.

Nombreux acteurs, dont les juges, se sont toutefois penchés sur le concept, notamment lorsqu’ils étaient saisis d’une problématique de remboursement des dettes.

A titre d’exemple, le Tribunal du travail de Mons définit la dignité humaine comme suit : « La loi ne définit pas ce concept de « dignité humaine », concept complexe qui doit être apprécié par le juge au regard de chaque situa­tion individuelle qui lui est soumise. Sans enfermer cette notion dans une définition hermétique, il peut être précisé que la dignité humaine doit avant tout, permettre à l’intéressé de faire face d’une part, aux besoins essentiels de la vie (par ex. se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner) et d’autre part, aux frais indispensables pour éviter, autant que possible, sa marginalisation sociale (par ex. pour travailler ou rechercher un travail, pour suivre une scolarité, pour payer taxes et impôts, pour régler les assurances utiles mais aussi pour faire face à un minimum de loisirs) »².

Par ailleurs, au nom de la dignité humaine, le législateur belge a fixé :

  • des minima stricts de montants insaisissables ou incessibles lorsqu’ils sont versés sur un compte bancaire³ (a)
  • un « pécule de médiation » en-deçà duquel on ne peut descendre dans le cadre du règlement collectif de dettes, et ce même avec le consentement du débiteur 4 (b)

Au nom d’une cohérence d’ensemble, ces seuils ne devraient-ils pas constituer une référence majeure pour la fixation concrète des mensualités à payer dans le cadre d’un plan de paiement en matière énergétique ?

A. Minima stricts de montants insaisissables ou incessibles

Ainsi, en vue de l’exécution d’un jugement condamnant une personne à rembourser sa dette, la plupart des revenus peuvent être saisis ou cédés mais pas dans leur entièreté5.

Des seuils sont fixés par tranche de revenus. Une distinction est opérée selon qu’il s’agit de revenus professionnels ou de remplacement, à savoir les pensions, allocations de chômage, indemnités pour incapacités de travail, allocations d’invalidité, sommes payées en raison d’accident de travail ou de maladies professionnelles, l’indemnité accordée en cas d’interruption de carrière, etc..

Ces seuils sont à augmenter d’un montant par enfant à charge. Le 1er janvier de chaque année, les montants des revenus insaisissables sont adaptés à l’indice des prix à la consommation.

Ainsi, les nouveaux seuils, applicables dès le 1er janvier 2019 sont les suivants :

Revenus professionnels nets mensuels Taux Montant saisissable par tranche
0,00 € à 1.128,00 € 0% 0,00 €
1.128,01 € à 1.212,00 € 20% 16,80 €
1.212,01 € à 1.337,00 € 30% 37,50 €
1.337,01 € à 1.462,00 € 40% 50,00 €
1.462,01 € et plus 100% entièreté de ce qui excède 1.462,01 €

 

Revenus de remplacement Taux Montant saisissable par tranche
0,00 € à 1.128,00 € 0% 0,00 €
1.128,01 € à 1.212,00 € 20% 16,80 €
1.212,01 € à 1.462,00 € 40% 100,00 €
1.462,01 € et plus 100% entièreté de ce qui excède 1.462,01 €

 

Ces seuils sont à relever de 70,00 € par enfant à charge6.

Ces balises, fixées pour la récupération forcée d’une dette après jugement, devraient logiquement s’appliquer pour – ou à tout le moins inspirer – le recouvrement amiable d’une dette avant la saisine du juge.

B. Seuil dans le cadre d’un règlement collectif de dettes

Dans le cadre d’un règlement collectif de dettes, le juge ne pourra jamais descendre en-deçà du revenu d’intégration sociale majoré des allocations familiales.

Les montants mensuels du RIS (tels qu’indexés le 1er septembre 2018) sont les suivants :

Cohabitant 607,01 EUR
Isolé 910,52 EUR
Personne avec famille à charge 1.254,82 EUR

 

En dehors d’un règlement collectif de dettes et par analogie, il serait donc soutenable de considérer que – quel que soit le cadre de la négociation d’un plan de paiement (amiable ou judiciaire) -, le revenu d’intégration sociale majoré des alloca­tions familiales soit qualifié de revenu « intouchable ». Et ce afin que le débiteur puisse, tant bien que mal, faire face aux dépenses quotidiennes, parmi lesquelles les factures énergétiques périodiques qui continuent à courir.

Les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale sont généralement insol­vables, c’est-à-dire « qu’ils parviennent tout juste à faire face à leurs dépenses quotidiennes de base mais n’ont aucun disponible supplémentaire à affecter au remboursement de leurs dettes, ou qu’ils ont des reve­nus insuffisants qui ne leur permettent même pas d’avoir un budget en équilibre. On parle alors de surendettement structurel puisqu’il est alors impossible de ne pas faire de nouvelles dettes »7.

[1] Art. 25sexies, §1er de l’Ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et art. 20quater, §1er de l’ Ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale, concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale : « Le caractère raisonnable du plan d’apurement, notamment de sa durée et du montant des paiements échelonnés, s’apprécie en fonction de l’équilibre qu’il établit entre l’intérêt du fournisseur à obtenir le remboursement de sa dette dans un délai raisonnable et l’intérêt du client à apurer sa dette dans un délai adapté à sa situation financière. Un plan d’apurement n’est pas raisonnable s’il porte atteinte à la possibilité pour le client et sa famille de mener une vie conforme à la dignité humaine. Brugel détermine les informations minimales que tout plan d’apurement doit contenir ».
[2] Trib. trav. Mons (10e ch.), 11 décembre 2008, inéd., RG n° 08/3709/B.
[3] Articles 1409 à 1412 du Code judiciaire.
[4] Article 1675/9, §4 du Code judiciaire.
[5] Les informations de cette news au sujet de l’insaisissabilité sont issues de la fiche extrêmement limpide réalisée par « Droits quotidiens » ; https://www.droitsquotidiens.be/fr/system/files/plafonds_dinsaisissabilite-2019.pdf
[6] Un enfant à charge doit avoir moins de 25 ans ou être sous statut de minorité prolongée et dépendre pour les frais d’hébergement, d’entretien ou d’éducation de la personne dont les revenus sont saisis.
[7] Définition du Centre d’Appui aux Services de Médiation de Dettes de la Région de Bruxelles Capitale in « Le médiateur de dettes face à la pauvreté », Bruxelles, 2010.