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Baromètre de la précarité énergétique 2009-2017

Publié le: 26/03/2019 - Mis à jour le : 28/03/2019

Vous trouverez ici une interview de Sandrine Meyer, co-autrice du Baromètre de la précarité 2009-2017, réalisé pour la Fondation Roi Baudoin avec la Plateforme de lutte contre la précarité énergétique. Avec elle, nous revenons sur ce rapport: types de précarité énergétique, causes, conséquences, publics touchés… Une occasion de constater que depuis 2009, certaines choses ne semblent pas avoir beaucoup évolué ! C’est pourquoi l’interview aborde aussi des pistes pour la suite. Nous la remercions d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez trouver le Baromètre en PDF ainsi que les recommandations ici !        

Centre d’Appui SocialEnergie: Quels sont les objectifs de ce baromètre de la précarité énergétique ?

Sandrine Meyer : Les objectifs sont multiples. L’idée c’est de pouvoir comprendre la précarité énergétique dans ses différentes composantes, de voir quels sont les ménages les plus vulnérables, et de pouvoir faire des analyses sur le long terme pour voir les solutions et quels sont les éléments qui jouent le plus sur les évolutions constatées.

Quels sont les différents types de précarité énergétique que le baromètre étudie ?

On a identifié 3 situations de précarité énergétique. D’abord la ‘précarité énergétique mesurée’, c’est ce qu’on a utilisé pour représenter les ménages qui ont une dépense en énergie trop élevée par rapport aux revenus disponibles (déduction faite du coût du logement). On a un deuxième groupe où l’on soupçonne plutôt des restrictions de consommation énergétique par rapport aux besoins élémentaires – situation que nous avons appelée ‘précarité énergétique cachée’. Il y a peu de statistiques et peu d’indicateurs qui peuvent la mesurer. Elle recouvre des ménages qui consomment trop peu par rapport aux ménages similaires en taille et en type de logement occupé et pour lesquels on soupçonne qu’ils se restreignent en deçà de leurs besoins de base. La troisième famille de ménages en précarité énergétique que nous avons identifiée, ce sont les ménages qui ont une crainte, un ressenti, un vécu particulier par rapport à l’énergie. Nous l’avons appelée ‘précarité énergétique ressentie’. C’est un indicateur purement subjectif puisque les ménages déclarent eux-mêmes avoir des difficultés ou craindre avoir des difficultés à chauffer correctement leur logement.

Et pour interroger cette précarité énergétique-là, comment avez-vous procédé ?  

Tous les indicateurs sont basés sur l’enquête européenne SILC qui a lieu chaque année. Dans cette enquête, une question spécifique est posée aux ménages pour savoir s’ils se sentent en capacité de chauffer correctement leur logement ou pas.

Quels sont les facteurs qui causent la précarité énergétique ?

La précarité énergétique est multifacette. Il n’y a pas qu’un seul paramètre qui joue. Les plus évidents, ceux qui sont les plus souvent repris, sont : les revenus faibles ; des prix de l’énergie à la hausse (tout compris : à la fois de l’énergie elle-même mais aussi les taxes, cotisations, etc) ; la qualité du logement, surtout qualité énergétique, qui fait que certains ménages ont des dépenses vraiment très importantes pour pouvoir chauffer correctement leur logement. Et à côté de ça, il y a différents paramètres purement fortuits, personnels, des changements de situation qui peuvent faire que le ménage se retrouve avec des difficultés à payer ses factures ou à se chauffer correctement ou à avoir les services énergétiques corrects pour s’intégrer dans la société. Cela peut être un problème de santé, une perte d’emploi, … .

Par rapport aux précédents baromètres, quelles sont les différences et les ressemblances ?

Il faut savoir que le baromètre de cette année-ci se base sur les données de 2017. On n’a donc pas encore de retour sur les dernières évolutions au niveau des prix des énergies (qui ont connu une hausse fin 2017 et en 2018). Globalement, sur 2009-2017, ce qu’on constate c’est que le pourcentage de ménages touchés par la précarité énergétique reste globalement identique. Par contre, avec le climat qui a été relativement favorable ces trois dernières années et les prix de l’énergie relativement bas, surtout jusqu’en 2016, la gravité des situations était moindre. Depuis la fin 2017 avec la hausse des prix des énergies, la situation s’aggrave à nouveau et, entre 2016 et 2017, on observe une forte augmentation de la précarité énergétique ressentie.

Le taux de ménages en précarité énergétique n’a donc pas baissé malgré des prix de l’énergie faibles et un climat relativement clément. La stagnation des revenus disponibles et un accroissement du coût du logement sur la même période ont probablement eu un effet de compensation.

Quels sont les publics les plus touchés par la précarité énergétique ?  

Au niveau vulnérabilité, on voit que les locataires sont nettement plus touchés que les propriétaires. Cependant, il y a une différence aussi entre les propriétaires, puisqu’on a deux catégories, ceux avec hypothèque et ceux sans hypothèque. Ceux qui sont sans hypothèque sont plus touchés que ceux avec hypothèque. C’est notamment lié aux types de ménages représentés. Les ménages sans hypothèque sont souvent des ménages pensionnés (souvent même isolés) donc avec un revenu plus faible mais un logement familial d’une certaine taille à devoir chauffer.

Au niveau des ménages très vulnérables, ce sont aussi les familles monoparentales. Il y a une forte vulnérabilité de ces ménages-là, liée au fait qu’il n’y a souvent qu’un seul revenu, parfois pas toujours issu du travail, pour pouvoir assumer les dépenses d’un ménage de plusieurs personnes.

Quel lien entre pauvreté et précarité énergétique ?

On a fait le croisement entre les ménages qu’on avait identifiés en précarité énergétique et les ménages qui sont considérés en risque de pauvreté selon l’indicateur européen. Quand on croise les deux populations, on voit que ceux qui sont en risque de pauvreté sont fortement touchés par la précarité énergétique, le lien est donc présent. Mais quand on regarde la population en précarité énergétique, on constate que plus de 45% de cette population-là n’est pas en risque de pauvreté. Donc la précarité énergétique va au-delà de la pauvreté monétaire et touche aussi des ménages à revenus moyens.

Pour ces ménages-là, c’est vraiment le prix de l’énergie qui est trop haut ? Ou la qualité du logement qui est problématique?

Ou encore le coût du logement. Cela dépend des situations. Dans les centres urbains comme à Bruxelles, le coût du logement est fort élevé, cela réduit les revenus disponibles du ménage. Et dans d’autres cas, ce sont parfois des logements de piètre qualité ou d’une certaine taille, qu’il faut pouvoir chauffer avec des revenus limités. Même si les ménages ne sont pas en risque de pauvreté, leurs revenus médians ne sont pas toujours très élevés non plus.

Existent-ils d’autres liens entre précarité énergétique et logement ?

Il y a également la qualité du logement. Il faut se rendre compte que les ménages en précarité énergétique ont globalement un logement de moins bonne qualité que les autres et risquent plus que les autres d’avoir des moisissures, de la condensation, des fuites dans le toit, des éléments de ce genre-là.

L’isolation des logements semble être un élément concret à travailler ?

Oui, disons que c’est une mesure phare. En fait, quand on réfléchit, les mesures actuelles sont surtout de l’aide au niveau du paiement des factures. Il y a peu d’aides au niveau préventif (autres que les mesures comportementales) ou au niveau structurel. Il existe peu d’aides disponibles pour améliorer le logement, surtout sur le marché locatif privé.

Des mesures structurelles sont vraiment à privilégier. Avec des mesures curatives, au niveau du paiement de la facture, on loupe déjà tous les ménages qui se restreignent puisque eux ne font pas appel à l’aide. Et le souci aussi, c’est qu’on aide à payer des factures mais qu’on ne résout pas le problème de base, que ce soit un manque de revenu ou que ce soit un logement de piètre qualité qui fait qu’on a des factures énergétiques énormes.

Quel est l’impact de la précarité énergétique sur la santé ?

On ne peut pas vraiment parler d’impact mais ce qu’on a vu, c’est que les ménages en précarité énergétique étaient beaucoup plus vulnérables sur les différentes questions de santé : le fait d’avoir une maladie chronique, le fait d’avoir un certain taux d’invalidité, le fait de se déclarer en mauvaise ou très mauvaise santé. On voit que les ménages qui sont considérés en précarité énergétique ont tendance à être beaucoup plus représentés dans ces états de mauvaise santé que les autres. On ne peut pas dire actuellement si c’est la précarité énergétique qui cause les problèmes de santé ou inversement. On ne sait pas quel est le lien de cause à effet mais, en tout cas, on constate que les ménages en précarité énergétique déclarent beaucoup plus souvent des problèmes de santé.