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Protection du consommateur bruxellois : l’étude « Juge de Paix » de Brugel ouvre le débat

Publié le: 22/06/2017 - Mis à jour le : 14/08/2019

Réaction du Centre d’Appui SocialEnergie à l’étude de Brugel relative à l’analyse qualitative et quantitative des décisions de justice de paix en matière de résiliation de contrat.

Brugel, le régulateur bruxellois des marchés du gaz et de l’électricité, a récemment lancé une consultation publique concernant les résultats de son étude relative à l’analyse qualitative et quantitative des décisions de justice de paix en matière de résiliation de contrat (voir ici) . Le Centre d’Appui SocialEnergie y décèle un certain nombre de biais et soulève certaines lacunes et questions en suspens, résumés ci-dessous.

» Pour lire notre analyse complète de cette étude cliquez ici

Qui porte la voix des consommateurs ?

L’étude « Juge de paix » de Brugel  ouvre – pour son plus grand mérite – le débat sur la protection du consommateur à Bruxelles.

Or il semble que, à ce stade, les consommateurs eux-mêmes soient la seule partie prenante au dispositif qui n’ait pas eu voix au chapitre. C’est particulièrement le cas de ceux qui rencontrent les difficultés les plus inextricables sans toutefois s’adresser au CPAS. Aussi appelons-nous vivement le régulateur à compléter son étude par une analyse du vécu de ces ménages et valider auprès d’eux les multiples postulats de l’étude quant à leur cheminement ou leurs intérêts.

Une vision segmentée de la précarité

Nous notons également que l’étude confine essentiellement son analyse aux parties prenantes directes et à la dette énergétique au sens strict. Ce faisant, elle développe une vision restrictive des problèmes et des solutions. À titre d’exemple, toute dette énergétique évitée est présentée comme un bénéfice net pour la collectivité et pour l’individu, sans égard aux conséquences des mesures proposées sur les conditions de vie et sur le budget global du ménage. Nous plaidons donc pour une vision moins segmentée, plus systémique de la pauvreté et des difficultés financières.

Une étude fondée sur des hypothèses et des préjugés

L’étude est par ailleurs fondée sur un ensemble d’hypothèses qui – outre qu’elles sont régulièrement présentées comme des évidences – ne sont nullement étayées (par d’argumentation et pas de source). Citons de manière non-exhaustive les idées ou sous-entendus selon lesquels :

  • le paiement de la dette serait souvent une simple question de priorité ;
  • la priorisation des factures d’énergie serait une bonne chose pour le ménage lui-même ;
  • ce serait la « situation d’impunité » qui « engendre un emballement de la dette » ;
  • l’effet dissuasif d’une « menace plausible » de coupure suffirait à éviter la coupure elle-même ;
  • la réduction des délais serait intrinsèquement profitable au ménage, en vertu de l’amoindrissement de l’accumulation de la dette énergétique ;
  • les « moyens alternatifs » de « protection sociale » montreraient les failles des procédures ;
  • la diminution de la dynamique concurrentielle du marché se ferait au détriment des ménages ;
  • « soit les clients ont les moyens de payer leurs factures et devraient donc payer avant la coupure ; soit ces clients n’en ont pas les moyens et devraient se tourner vers le CPAS » ;
  • La « mauvaise volonté » des ménages qui échappent à une forme de « prise en charge » par les dispositifs d’aide « est avérée » ;
  • un lien causal existerait entre « priorisation des factures » et le fait de ne pas s’adresser au CPAS.

Des questions pertinentes non-investiguées

Nous recensons également dans cette étude  de très nombreuses questions auxquelles l’étude ne répond pas, telles que (à titre d’exemple et de manière non exhaustive) :

  • Pourquoi les ménages endettés ne paient-ils pas ?
  • Pourquoi si peu de ménages se présentent-ils en justice de paix ?
  • Pourquoi si peu d’entre-eux fréquentent-ils le CPAS ?

La réponse à ces questions aurait vraisemblablement permis de dégager d’autres pistes, relatives par exemple  à l’amélioration des canaux et modes de communication avec les ménages (émanant des fournisseurs, des intervenants sociaux ou de la justice) ou encore à la raisonnabilité du plan de paiement.

Des pistes d’actions imprécises et prématurées

Vus les éléments cités ci-dessus, l’évaluation des « pistes » apparaît souvent insuffisante pour orienter la décision.

» Lire nos commentaires spécifiques pour chacune des pistes

Enfin, l’étude conclut sur la mise en réflexion d’un « système-cible » qui permettrait de répondre « à l’ensemble des objectifs de protection sociale ». Ce système rompt profondément avec la procédure actuelle. Tant que l’étude ne s’est pas sérieusement penchée sur le vécu, le parcours et les intérêts des consommateurs les plus fragilisés (dont ceux qui ne s’adressent pas au CPAS), l’esquisse de ce système-cible est prématurée et ne peut d’aucune manière servir de base à la réflexion proposée.

L’une des spécificités de ce système-cible est de substituer l’huissier au juge de paix, dans certaines circonstances dont la fréquence n’est pas quantifiée.  Nous considérons que :

D’une part, les difficultés de la justice de paix appellent davantage à une réflexion globale sur l’accès à la justice et son financement qu’à une solution palliative et locale cautionnant l’affaiblissement de la justice de paix.

D’autre part, la coupure par exploit d’huissier – contestée sur le plan juridique – diminue considérablement la protection du consommateur, compromet le respect de la dignité humaine, déséquilibre le rapport de force entre fournisseur et consommateur et risque d’augmenter les coûts de recouvrement tout en déforçant les alternatives à la procédure judiciaire. Nous y sommes donc fermement opposés.

En conclusion, nous sommes donc demandeurs d’une réflexion collective et ouverte autour de l’amélioration du dispositif de protection du consommateur, intégrant entre autres les consommateurs fragilisés et les organisations qui les côtoient. Si l’étude de Brugel peut évidemment contribuer à nourrir la réflexion, nous souhaitons éviter qu’elle guide les débats.