Carte blanche : Les enjeux sociaux de la rénovation du logement à Bruxelles – Vers une politique énergétique plus sociale
Mis à jour le : 31/07/2025
Dans un contexte d’incertitude politique, de crise du logement, de tensions budgétaires et d’urgence climatique, la Région de Bruxelles-Capitale est amenée à poser des choix politiques forts, durables et solidaires. Parmi les grands défis à relever, la rénovation du parc immobilier bruxellois s’impose comme une priorité. Pour rappel, ce secteur est responsable, à lui seul, de plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de la Région.
Cependant, face à cette urgence, il est impératif de ne pas reléguer les enjeux sociaux au second plan. Aujourd’hui, 28 % des Bruxelloises et Bruxellois vivent en situation de précarité énergétique, un chiffre alarmant qui résulte de la combinaison entre des revenus insuffisants et un parc immobilier vétuste. Plus de 60 % des ménages sont locataires, ce qui les empêche bien souvent d’agir sur la qualité de leur logement. 32 % de la population vit dans des habitations présentant des défauts majeurs, comme une mauvaise isolation thermique, des infiltrations d’eau et de l’humidité, du vitrage simple et/ou châssis vétustes, des problèmes d’insalubrité et de conformité, des installations de chauffage et d’eau chaude obsolètes, ou encore des fuites au niveau de leur toiture. Autant de situations qui peuvent impacter la santé mentale et physique des habitants.[1]
Par ailleurs, Bruxelles se distingue tristement par la rapidité de l’augmentation de ses loyers et par le poids toujours plus lourd du logement dans le budget des ménages (10 % des ménages les plus pauvres y consacrent jusqu’à 45 % de leurs revenus[2]).
Depuis plusieurs mois, de nombreuses organisations de terrain, qui accompagnent aussi bien des propriétaires que des locataires, travaillent de concert avec les administrations régionales (Bruxelles Environnement et Bruxelles Logement) à la prise en compte des publics plus vulnérables dans la stratégie régionale de rénovation du bâti. Pour les organisations signataires de la carte blanche toutes membres du groupe de travail « Social Réno » de l’Alliance Renolution, il est inconcevable que cette stratégie se construise au détriment des Bruxelloises et Bruxellois les plus précaires.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant. Loin d’opposer rénovation et justice sociale, la Région a l’opportunité de faire de la politique de rénovation, un véritable levier de réduction des inégalités, d’amélioration des conditions de vie et de transition écologique juste. Il ne s’agit pas seulement de mieux isoler des bâtiments, il s’agit de construire une ville plus équitable, plus résiliente, plus saine et plus solidaire. Comment ? En réorientant les aides vers les publics les plus vulnérables et vers les travaux les plus urgents. Afin d’y parvenir, nous proposons une stratégie reposant sur quatre piliers interdépendants :
- Sensibiliser pour accélérer le rythme des rénovations du parc locatif bruxellois : celui-ci reste faible, tout particulièrement du côté des propriétaires bailleurs[3]. Il est donc essentiel de les sensibiliser et de les accompagner dans une approche visant à améliorer la qualité des logements tout en évitant le phénomène de « rénoviction », soit l’éviction d’un locataire par son propriétaire pour effectuer des travaux de rénovation et louer ensuite son bien plus cher.
- Accompagner les ménages vers un logement de qualité et soutenir en priorité les propriétaires vulnérables dans la réalisation de leur projet de rénovation. Pour cela, il est impératif de renforcer l’accompagnement disponible pour ces publics.
- Assurer l’accessibilité financière de la rénovation. D’une part, le régime des primes régionales a montré ses limites et doit être revu. Nous plaidons pour un système d’aides progressif, en fonction des profils socio-économiques des ménages, qui tienne compte de l’ensemble des revenus réels des ménages et qui permette aux plus précaires de préfinancer les travaux de rénovation (à la différence des primes actuelles qui s’obtiennent après travaux). D’autre part, cette accessibilité financière de la rénovation passe par une stratégie de réduction des coûts de la rénovation (via, par exemple, la rationalisation et standardisation de packages de rénovation ou le développement de l’auto-rénovation accompagnée).
- Garantir le droit à un logement décent : une maîtrise de l’impact de la rénovation des logements sur les prix des loyers est indispensable, tout en améliorant la disponibilité de logements sûrs, sains, qualitatifs et abordables. Pour ce faire, il faut :
-
- garantir une régulation des loyers des logements bénéficiant d’aides publiques à la rénovation, au moyen d’un conventionnement des bailleurs ;
- renforcer l’accompagnement des propriétaires bailleurs et des locataires;
- et enfin, envisager des travaux sans nécessité de relogement des locataires lorsque c’est possible.
Cette stratégie forme un tout cohérent, qui articule efficacement les enjeux de précarité, de santé et d’environnement. Rappelons qu’une étude d’Eurofound a établi que « pour 3 euros investis dans la rénovation et l’isolation des logements, pour les rendre sains et sûrs, 2 euros sont déjà récupérés en une année à peine, en soins de santé et en bien-être »[4].
Nous avons les idées et les acteurs pour soutenir cette stratégie. Il nous manque un cap politique clair et un financement à la hauteur.
Signataires :
- Coordination du Réseau Habitat
- Fédération des services sociaux
- Fonds du Logement
- Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH)
- Comité Régional Bruxellois de la CSC-ACV
- Community Land Trust Bruxelles (CLTB)
- Renovassistance
- Pro Renovassistance
- Fair Ground Brussels
- Sandrine Meyer, chercheuse à l’ULB
- SoHoNet
- SoHab
- RenovaS
- Convivence
- Maison de quartier Bonnevie
- La Rue
- Une Maison en Plus
- Fabrik
- Centre de Rénovation Urbaine
- CAFA
[1]https://environnement.brussels/citoyen/services-et-demandes/conseils-et-accompagnement/lair-pollue-de-votre-maison-est-il-la-cause-de-vos-problemes-de-sante-sollicitez-le-service-cripi
[2]https://www.vivalis.brussels/fr/pauvret%C3%A9-in%C3%A9galit%C3%A9s-bruxelles
[3] Comme le montre, par exemple, les chiffres liés à l’octroi des primes Renolution dans le Rapport annuel de statistiques – Primes énergie et RENOLUTION 2023, juin 2024, publié par Bruxelles Environnement.
[4] Eurofound, Inadequate housing in Europe: Costs and consequences, 2016, https://www.eurofound.europa.eu/en/publications/2016/inadequate-housing-europe-costs-and-consequences