Suspension d’un arrêté d’expulsion pour vice de compétence et défaut de motivation
CATÉGORIE : Acteurs publics VECTEUR : Logement TYPE : Justice Année : 2024
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Résumé général
Dans son arrêt n° 258.630 du 29 janvier 2024, le Conseil d’État a suspendu l’exécution d’un arrêté de police pris par la bourgmestre de Forest le 2 janvier 2024, ordonnant l’expulsion immédiate d’un immeuble communal. Ce bâtiment, destiné à être transformé en logements sociaux, était occupé par une trentaine de personnes d’origine bulgare, dont de nombreux enfants, sans droit ni titre. Les autorités communales invoquaient des risques de sécurité et d’insalubrité. Les requérantes ont demandé en extrême urgence la suspension de l’arrêté, dénonçant une violation du droit au respect du domicile et un usage détourné des pouvoirs de police. Le Conseil d’État a estimé que l’urgence était caractérisée, que les occupants avaient agi avec diligence, et que les moyens tirés de l’incompétence du bourgmestre et de l’insuffisance de motivation étaient sérieux. Cette décision souligne que l’expulsion administrative d’un immeuble privé, même communal, doit répondre à des exigences strictes de légalité, de motivation et de proportionnalité, et ne peut pallier une action judiciaire normalement requise.
Résumé des faits
L’immeuble, propriété de la commune de Forest, était vacant en vue de travaux de transformation en logements sociaux. Fin 2023, la commune constate qu’environ 30 personnes, dont de nombreux enfants, occupent le bâtiment sans titre. Un arrêté d’évacuation est pris le 2 janvier 2024, avec exécution prévue au plus tard pour le 12 janvier. Les requérantes, deux femmes occupant les lieux, saisissent le Conseil d’État le 18 janvier en extrême urgence, demandant la suspension de cet arrêté.
Arguments des parties
Les requérantes soutiennent :
- qu’elles occupent l’immeuble à titre de domicile effectif, et qu’une expulsion sans recours juridictionnel viole leur droit au respect du domicile (art. 8 CEDH) ;
- que le bourgmestre a excédé ses compétences (article 135 §2 de la Nouvelle loi communale), l’immeuble n’étant ni un édifice public ni à l’origine d’un trouble à l’ordre public ;
- que l’arrêté est insuffisamment motivé, contradictoire et fondé sur des éléments non établis (eau, électricité, sécurité) ;
- qu’il constitue un détournement de pouvoir, son but réel étant d’accélérer les travaux, non d’assurer l’ordre public.
La commune de Forest rétorque :
- que l’occupation de l’immeuble par des personnes sans titre constitue un risque pour la sécurité et la salubrité ;
- que les rapports techniques font état d’un danger potentiel (ascenseur, raccordements électriques) ;
- que l’intervention du bourgmestre est justifiée par les obligations en matière de police administrative ;
- que le relogement avait été envisagé, et que les occupantes ont eu l’occasion de se défendre.
Raisonnement du tribunal
Le Conseil d’État constate :
- que les conditions de l’extrême urgence sont réunies : l’exécution de l’arrêté risquait d’intervenir avant toute décision judiciaire ;
- que les requérantes ont agi avec diligence après avoir pris connaissance de l’arrêté ;
- que l’occupation sans titre ne prive pas du droit au respect du domicile, selon la jurisprudence de la CEDH ;
- que l’arrêté d’évacuation se fonde sur des documents contradictoires ou non signés et des constats flous ;
- que le bâtiment n’est pas un édifice public, au sens de l’article 135, §2, de la Nouvelle loi communale, ce qui limite les pouvoirs du bourgmestre ;
- que l’objet réel de l’arrêté (démarrer des travaux) ne relève pas de la police administrative.
Décision du tribunal
Le Conseil d’État :
- suspend l’exécution de l’arrêté du 2 janvier 2024 pris par la bourgmestre de Forest,
- ordonne l’exécution immédiate de sa décision,
- met hors de cause la bourgmestre, l’acte relevant de la commune elle-même,
- réserve les dépens pour une décision ultérieure.

