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PRESSE – Carte blanche : sortir du TCE pour construire un nouveau pacte énergétique

Publié le: 29/09/2021 - Mis à jour le : 21/10/2021

Le 28 septembre se tiendra la 7e session de renégociation du Traité sur la charte de l’énergie (TCE). Alors que la renégociation du TCE est dans l’impasse depuis un an, l’arrêt que vient de rendre la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pourrait changer la donne en poussant l’Union européenne et ses Etats membres à quitter ce traité anachronique.

Le 2 septembre, la CJUE a jugé incompatible avec le droit européen la possibilité pour des investisseurs privés européens de poursuivre les Etats membres de l’UE devant les tribunaux d’arbitrage privés, sur la base de la clause « ISDS » (1) présente dans le TCE. Cette clause d’arbitrage est un puissant outil dans les mains des multinationales pour attaquer et dissuader les pouvoirs publics de prendre des mesures ambitieuses en matière énergétique puisque toute mesure ayant potentiellement un impact sur les profits espérés des investisseurs privés peut entraîner des millions, voire des milliards d’euros de compensation payés avec l’argent des contribuables. A titre d’exemple, l’entreprise allemande RWE poursuit, depuis le début de cette année, le gouvernement néerlandais pour avoir adopté une loi prévoyant la suppression progressive des centrales électriques au charbon d’ici à 2030 et réclame une indemnisation de 1,4 milliard d’euros.

Le cas hollandais n’est pas isolé. Avec 136 plaintes connues à ce jour, le TCE est même l’accord international qui génère le plus de plaintes en arbitrage dans le monde, les deux tiers de ces plaintes concernant de surcroît des litiges intra-européens.

Un traité incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et la précarité énergétique

Le TCE ne pose pas uniquement un problème de légalité au regard du droit communautaire. Il se révèle également incompatible avec le Green Deal européen, l’Agenda 2030 des Nations Unies en faveur des Objectifs de développement durable et l’Accord de Paris, trois engagements internationaux liant la Belgique. En effet, les émissions de gaz à effet de serre protégées par le TCE depuis son entrée en vigueur dépassent le budget carbone dont dispose l’UE pour la période 2018-2050 et représentent un tiers du budget carbone mondial d’ici à 2050 pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré.

Le TCE ne constitue pas seulement un frein à la lutte contre le réchauffement climatique puisqu’il a déjà été utilisé contre des décisions prises par les pouvoirs publics de réglementer le prix de l’électricité au bénéfice notamment des plus précaires. Le TCE entre ainsi en en collision frontale avec des textes supranationaux invitant les Etats à lutter contre la précarité énergétique (2). La Hongrie a, par exemple, été́ poursuivie suite à une loi destinée à réintroduire des prix réglementés (après les avoir supprimés dans le cadre de la libéralisation) faisant baisser la facture d’électricité́ pour sa population.

La Belgique doit changer de stratégie

Compte tenu de l’urgence sociale et climatique mais aussi de la situation d’illégalité dans laquelle le TCE place notre pays et l’ensemble de l’UE, la Belgique doit changer dès à présent sa stratégie gouvernementale sur le TCE qui consiste à vouloir renégocier un accord qui n’est pas réformable. Le TCE est régi par la règle de l’unanimité qui requiert l’accord des 55 parties prenantes pour modifier le traité.

Notons que la suppression de la clause arbitrage ne figure même pas à l’ordre du jour de la renégociation du TCE et qu’elle n’a aucune chance de l’être, en raison du veto du Japon qui a déjà annoncé son opposition farouche à toute révision du mécanisme d’arbitrage.

Le compte rendu du Conseil de l’UE de l’énergie du 6 juin 2021 indique lui aussi que la renégociation est clairement dans l’impasse. Dans ce compte rendu, les diplomates européens relatent « qu’aucun progrès substantiel n’a été réalisé » depuis le début des négociations et qu’« aucune des grandes parties contractantes n’était prête à soutenir la proposition de l’UE dans sa forme actuelle  ».

Une seule voie possible : la sortie du TCE

Pour se conformer à l’arrêt des juges européens, respecter leurs objectifs climatiques et lutter contre la précarité énergétique, la seule voie possible pour la Belgique et l’UE est de sortir du TCE tout en neutralisant la clause de survie. Cette autre clause inscrite dans le TCE permet aux investisseurs étrangers de continuer à attaquer un État pendant les vingt années suivant son retrait.

Pour neutraliser la clause de survie, le retrait du TCE pourrait, par exemple, s’accompagner de la conclusion d’un accord qui désactiverait le mécanisme d’arbitrage entre les Etats européens ayant décidé de se retirer du TCE. Un tel accord devrait aussi être ouvert aux Etats non-membres de l’UE désireux de quitter le traité.

Plusieurs pays européens dont l’Espagne et la France se sont déjà positionnés publiquement en faveur du retrait coordonné de l’UE et de ses Etats membres du TCE. L’Italie l’a déjà quitté en 2016. Il est temps que la Belgique rejoigne cette coalition européenne pour la sortie du TCE avec les garanties qui s’imposent en matière d’approvisionnement énergétique et d’emploi.

Vers la conclusion d’un nouveau pacte énergétique

Sortir du TCE constitue aujourd’hui la seule option pragmatique qui permettrait à la Belgique et à l’ensemble des pays de l’UE de se concentrer sur des mesures de transition écologique ambitieuses et créatrices d’emplois, à l’abri de toute attaque devant des tribunaux d’arbitrage opaques, partiaux et coûteux. Cette décision permettrait également d’ouvrir un espace politique pour un nouvel accord international qui soutiendrait la transition écologique et réduirait la précarité énergétique.

*Renaud Vivien, Coordinateur du Service politique d’Entraide et Fraternité ; Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC/ACV) ; Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux ; Ariane Estenne, présidente du MOC ; Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11 ; Aurélie Ciuti, coordinatrice du RWADE ; Santiago Fischer, chargé de plaidoyer à WSM ; Simon Rix, responsable plaidoyer à Justice et Paix.

(1) Acronyme de « Investor-state dispute settlement ».
(2) Citons à titre d’exemple la résolution du Parlement européen du 26 mai 2016 sur une nouvelle donne pour les consommateurs d’énergie (2015/2323(INI).

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L’article a été publié le lundi 27 septembre 2021 par le journal le Soir