< Retour

Plafond sur les recettes des producteurs d’électricité

CATÉGORIE : VECTEUR : TYPE : Année : Tags :


Résumé général

Dans son arrêt 67/2024, la Cour constitutionnelle a décidé de poser quinze questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant la loi belge du 16 décembre 2022 qui impose un plafond temporaire sur les recettes du marché de certains producteurs d’électricité. Cette loi prévoit un prélèvement de 100 % des revenus excédant 130 €/MWh, sur les ventes réalisées entre août 2022 et juin 2023, afin de redistribuer les « surprofits » liés à la crise énergétique. Plusieurs producteurs d’électricité et fédérations ont contesté la législation, estimant qu’elle portait atteinte à leurs droits de propriété, à la liberté d’entreprendre et aux principes de non-discrimination. La Cour, avant de se prononcer sur le fond, soulève de sérieux doutes sur la compatibilité de certaines dispositions de la loi avec le droit européen, notamment quant à la rétroactivité du prélèvement, son taux intégral de 100 %, le niveau du plafond (130 €/MWh) inférieur à celui prévu par l’UE, ainsi que l’usage de présomptions fiscales non réfutables. Cette décision illustre la complexité de concilier intervention publique, sécurité juridique et libertés économiques en temps de crise, tout en soulignant le rôle fondamental de la CJUE dans l’interprétation du droit de l’Union.

Résumé des faits

En réponse à la flambée des prix de l’énergie à partir de 2022, la Belgique a adopté une loi instaurant un plafond sur les recettes des producteurs d’électricité utilisant certaines technologies dites « inframarginales » (éolien, solaire, nucléaire, biomasse, etc.). Le plafond de recettes a été fixé à 130 €/MWh, avec un prélèvement de 100 % au-delà de ce seuil. Plusieurs acteurs du secteur ont introduit un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle, arguant que cette mesure viole divers principes du droit belge et européen.

Arguments des parties

Les producteurs et fédérations requérantes ont contesté la loi sur plusieurs points :

– la violation du droit de propriété par un prélèvement à 100 %,

– l’abaissement du plafond à 130 €/MWh alors que le règlement européen fixe un maximum de 180 €/MWh,

– l’usage de présomptions fiscales irréfutables, notamment pour les centrales nucléaires,

– l’application rétroactive de la loi à partir d’août 2022, avant l’entrée en vigueur du règlement européen (décembre 2022),

– et enfin, des discriminations entre technologies (biométhane, petites installations) et producteurs.

Le Conseil des ministres, pour sa part, a soutenu la validité de la loi et demandé à la Cour, si elle devait l’annuler, de maintenir ses effets pour éviter un désordre budgétaire.

Raisonnement de la Cour

La Cour reconnaît que le prélèvement à 100 % peut porter atteinte au droit de propriété, et que la fixation d’un plafond inférieur au seuil européen peut poser problème. Elle relève que le règlement (UE) 2022/1854 autorise les États membres à limiter davantage les recettes, mais sous conditions. Elle s’interroge aussi sur la compatibilité des présomptions fiscales utilisées par la loi avec le principe d’égalité et le respect des revenus réellement perçus. De plus, la rétroactivité de la loi, qui commence en août 2022 alors que le règlement européen n’est entré en vigueur qu’en octobre, soulève des doutes sérieux en matière de sécurité juridique et de confiance légitime. Estimant ne pas pouvoir trancher ces questions sans l’interprétation de la CJUE, la Cour décide de lui poser quinze questions préjudicielles, couvrant toutes ces problématiques.

Décision de la Cour

La Cour constitutionnelle surssoit à statuer et renvoie quinze questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Elle attend les réponses de cette dernière avant de se prononcer sur la validité de la loi belge du 16 décembre 2022. Elle rappelle également que, si la CJUE conclut à une incompatibilité de la loi avec le droit européen, les effets de celle-ci ne pourront être maintenus que dans les conditions strictes fixées par la Cour de justice.