Type-de-categorie de la section relations propriétaire-locataire
Publié le: 16/09/2025
Dans son jugement du 18 juin 2024, le Tribunal correctionnel de Leuven condamne à de lourdes peines le couple Appeltans[1] et son fils, très connus et depuis longtemps parmi les habitants de Louvain, notamment auprès des étudiants à la recherche d’un logement à louer. Entre 2013 et 2021, la famille Appeltans a loué de nombreux logements gravement insalubres, au sein des six immeubles dont ils sont propriétaires : on relève dans chaque bâtiment de graves problèmes de sécurité des installations électriques, des corps de chauffe, d’éclairage, d’humidité structurelle, … Le ministère public a ouvert une première enquête à ce sujet, en 2018, suite à de nombreuses plaintes de locataires. Le père et le fils ont été arrêtés en décembre 2019 dans la foulée, mais libérés sous condition. En mars 2024, 96 locataires se sont constituées partie civile dans le dossier pénal.
1. Les infractions reprochées
- Trois infractions sont reprochées au couple Appeltans et leur fils, ainsi que – pour certaines infractions – à leur société, et à leur homme à tout faire (G.B.).
Premièrement, ils sont poursuivis pour « abus de la vulnérabilité d’autrui en vendant, louant ou mettant à disposition des biens en vue de réaliser un profit anormal »[2], du fait « d’avoir profité, directement ou par personne interposée, de la situation de vulnérabilité d’une personne du fait de sa situation administrative illégale ou précaire, de sa situation sociale précaire, de son âge, de son état de grossesse, d’une maladie ou d’une déficience physique ou mentale, en vendant, louant ou mettant à disposition, dans l’intention de réaliser un profit anormal, un bien meuble, une partie de celui-ci, un bien immeuble, une chambre ou un autre espace visé à l’article 479 du Code pénal dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine »[3]. Ceci avec la circonstance aggravante que cette activité dites, dans le langage commun, de « marchands de sommeil », est devenue une « activité habituelle » (prévention A)[4].
Deuxièmement, il leur est reproché en leur qualité de propriétaire ou en tant que personne mettant à disposition un logement, de ne pas avoir respecté les exigences et normes de salubrité établies en vertu du décret flamand du 15 juillet 1997, à nouveau avec la circonstance aggravante que l’activité en question est devenue une « activité habituelle » (prévention B)[5].
Troisièmement, les prévenus sont suspectés d’avoir créé une association dans le but d’attenter aux personnes ou aux propriétés (prévention C)[6].
- Les allégations des prévenus selon lesquelles les droits de la défense et le droit à un procès équitable avaient été violés, ont été rejetées par le Tribunal, estimant qu’il n’y a aucune raison objective de craindre que la collecte des preuves concernant les victimes présumées des préventions A et B ait été effectuée de manière partiale, ou qu’il y ait eu un manquement délibéré à l’obligation d’effectuer des actes d’enquête pertinents (en l’occurrence, l’interrogatoire des victimes présumées).
- Les prévenus sont condamnés pour les préventions A et B, mais sont acquittés de la prévention C. En effet, selon le Tribunal, la constatation selon laquelle les infractions A et B ont été commises en pratique ne permet pas de déduire que les prévenus se sont organisés sciemment et intentionnellement dans le but de commettre ou de permettre ces crimes. L’organisation actuelle est purement le résultat des liens familiaux existants entre le couple Appeltans et leur fils d’une part, consolidés par un certain nombre de constructions juridiques d’autre part.
- Nous reviendrons uniquement sur la prévention A, le Tribunal correctionnel formulant des enseignements intéressants au sujet de l’infraction de marchands de sommeil.
2. L’infraction de « marchands de sommeil »
- L’infraction de « marchand de sommeil » suppose que l’auteur de l’infraction, directement ou par personne interposée, profite de la situation de vulnérabilité d’une autre personne (a), notamment due à son illégalité ou à sa précarité administrative, sociale, à son âge, (…), en vendant, en louant ou en mettant à sa disposition un bien meuble ou immeuble dans des conditions contraires à la dignité humaine (b) et dans l’intention d’en tirer un profit anormal (c).
(a) Les données du dossier pénal montrent que les six immeubles litigieux étaient occupés par des personnes ayant une situation administrative et sociale précaire en Belgique[7].
En ce qui concerne la situation administrative des locataires, le Tribunal relève que le droit de séjour des victimes était généralement limité dans le temps, et au moins incertain et conditionnel. En pratique, il s’agissait presque toujours de réfugiés reconnus[8] et de demandeurs de protection internationale. D’autres locataires étaient en séjour irrégulier.
En outre, les auditions des locataires révèlent également qu’ils ne disposaient que de revenus modestes provenant parfois d’un emploi, complétés ou non par des allocations (et percevaient entre 800 et 1 600 euros par mois), ou n’avaient pas de revenus professionnels propres et percevaient donc une aide sociale du CPAS (montants entre 900 euros et 1 000 euros par mois pour les locataires isolés).
Par ailleurs, la plupart des locataires étaient célibataires, n’avaient pas ou peu de famille en Belgique et ont, tout au plus, une connaissance limitée du néerlandais.
En bref, les résultats de l’enquête pénale démontrent de manière concluante que les locataires concernés, souvent isolés et sans réseau social, se trouvaient dans une situation de grande vulnérabilité sociale, fortement corrélée à leur statut administratif précaire.
Le dossier pénal montre également que les logements ont été et sont restés loués uniquement parce que les (futurs) locataires se trouvaient dans une situation tellement vulnérable qu’ils n’avaient d’autre choix que d’accepter l’état déplorable des bâtiments. En effet, dans la pratique, la volonté des locataires de rester dans les locaux défectueux moyennant le paiement d’un loyer était motivée par le fait qu’ils n’avaient pas d’alternative immédiatement disponible et abordable sur le marché régulier de la location de logements. Il ne fait donc aucun doute, pour le Tribunal, que la position particulièrement vulnérable des locataires concernés a été malmenée.
(b) L’infraction de « marchand de sommeil » suppose également que les logements aient été loués aux occupants dans des conditions contraires à la dignité humaine. Selon le Tribunal, la notion de dignité humaine implique une référence à l’article 23 de la Constitution, qui consacre pour chacun le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et inclut le droit à un logement décent : le Tribunal ajoute que la référence à la dignité humaine établit un cadre d’examen large qui va au-delà de la question de l’(in)habitabilité ou de l’(in)adéquation des locaux occupés, telle que définie par les législations régionales.
Or, les six immeubles visés dans la prévention A ne répondaient pas aux normes de qualité du logement, présentaient des problèmes structurels caractérisés et constituaient un réel danger pour la sécurité et la santé des occupants, notamment en générant un risque d’électrocution, d’incendie ou d’intoxication au CO, mais aussi de par leurs graves problèmes d’humidité, de développement de moisissures et de champignons, de manque d’hygiène et de présence d’animaux nuisibles. Les logements locatifs étaient dans un tel état déplorable qu’ils portaient clairement atteinte à la dignité humaine.
Pour arriver à un tel constat, le Tribunal relève tout d’abord qu’il convient de souligner que les locaux loués et les unités d’habitation ont été jugés inhabitables par les autorités régionales compétentes. En outre, les constatations détaillées concernant l’état des locaux et des logements en question, les résultats des perquisitions et les interrogatoires des occupants eux-mêmes, ne font que corroborer sans ambiguïté l’état extrêmement défectueux des lieux.
Dans le dossier pénal, l’état des locaux en question et la situation de vie des locataires ont été documentés en détail. A titre illustratif et pour l’un ou l’autre immeuble, quelques défauts sont cités ci-dessous, à savoir ceux ayant trait à des problématiques liés à l’énergie et à l’eau:
- Quant au bien 1 :
Selon le constat de police : « Globalement, nous pouvons dire que les locaux sont en mauvais état. Non seulement l’hygiène laisse à désirer, mais l’infrastructure est également déficiente. Par exemple, il n’y a pas d’eau chaude dans le bâtiment, il y a des infiltrations d’eau à plusieurs étages et dans plusieurs appareils. Selon l’inspection du logement, il y a un risque d’électrocution au sous-sol, il n’y a de chauffage que dans un seul appartement, etc. Des lacunes ont également été constatées en matière de sécurité incendie. Par exemple, aucune sortie de secours n’était prévue, l’éclairage de secours ne fonctionnait pas correctement, les détecteurs de fumée ne fonctionnaient pas, etc. »
- Dans la cage d’escalier commune du rez-de-chaussée et du premier étage, le plafond et le mur intérieur droit présentaient de très graves dégâts dus à l’humidité. Au deuxième étage, le plâtre était endommagé et partiellement manquant en raison de l’humidité.
- Électricité : au sous-sol, il y avait des connexions sous tension non professionnelles, entraînant un risque accru d’électrocution ou un risque de court-circuit et/ou d’incendie. Dans le hall d’entrée, de l’eau (dégâts dus à l’humidité) coulait le long du point lumineux du plafond. Le réfrigérateur de la cuisine se trouvait dans une grande flaque d’eau. Compte tenu des dégâts extrêmes causés par l’eau, le risque d’électrocution lors de l’utilisation d’un appareil électrique était accru. Dans plusieurs unités résidentielles, il y avait un risque d’électrocution en raison de conducteurs sous tension touchables et de prises de courant mal fixées.
- Les détecteurs de fumée présents en insuffisance ne fonctionnaient souvent pas. Le rapport des pompiers sur la sécurité incendie est défavorable.
- Les tuyaux de chauffage central, d’eau chaude et d’eau froide étaient corrodés et présentaient des fuites. Le système de tuyauterie était généralement en mauvais état et n’était plus étanche à l’eau et à l’air.
- L’éclairage de la cage d’escalier commune ne fonctionnait pas et il n’y avait pas d’éclairage naturel, de sorte que les logements n’étaient pas accessibles en toute sécurité.
- À plusieurs endroits dans le bâtiment, il y avait de graves dégâts dus à l’humidité, des moisissures et/ou des champignons, tant sur les murs que sur les plafonds.
- Le chauffage ne fonctionnait que dans une partie du bâtiment, de sorte qu’il n’y avait pas de chauffage dans certaines des unités d’habitation visitées.
- Les installations sanitaires étaient en mauvais état. Des problèmes ont été observés dans plusieurs unités de logement à cet égard : robinets qui fuient, canalisations qui fuient, cabines de douche endommagées, toilettes endommagées, absence d’eau chaude….
- La chaufferie contenait une chaudière à gaz dont le conduit d’évacuation était mal installé. L’appareil n’était pas allumé, mais s’il l’avait été, il y aurait eu un risque accru d’intoxication au CO.
- Déclaration du locataire M.A., corroborée par plusieurs autres déclarations de locataires : « pas d’eau chaude : va se doucher ailleurs (1 an), pas de chauffage, se chauffe avec un feu électrique, le feu de cuisson ne fonctionne pas, infiltrations d’eau, salle de bain, tout est humide ».
- Quant au bien 2 :
Selon le constat de police : « La maison entière est divisée en chambres/studios, chacun équipé de sanitaires individuels, parfois aussi d’une petite cuisine. (…)Nous constatons qu’il fait froid dans tout le bâtiment. Il ne semble pas y avoir de chauffage central, de sorte que la température à l’intérieur de la maison correspond à la température extérieure d’environ 7 degrés Celsius. La maison est sale, n’est pas entretenue et sent mauvais. Nous détectons une odeur d’excréments de vermine. Nous trouvons des souris déshydratées à plusieurs endroits. L’électricité ne fonctionne pas à plusieurs endroits. Le bâtiment est équipé de détecteurs de fumée. Certains semblent ne pas fonctionner, d’autres fonctionnent. (…) ».
- Quant au bien 3 :
Selon le constat de police : « (…) Cependant, les informations obtenues auprès des locataires présents montrent qu’en général, il y a beaucoup de problèmes avec le chauffage et l’eau chaude. Nous entendons aussi souvent des plaintes concernant des pannes d’électricité et des prises de courant qui ne fonctionnent pas. Nous constatons de très nombreuses taches d’humidité et des moisissures, tant dans les chambres que dans la cage d’escalier. Selon les locataires, les taches d’humidité/moisissures proviennent de l’eau qui s’infiltre régulièrement par le plafond ».
- Quant au bien 4 :
Selon le constat de police : « Nous constatons que la température dans la résidence, lors de notre perquisition, plus précisément vers 10h30, était d’environ 7 degrés Celsius dans la cuisine du rez-de-chaussée, d’environ 10 degrés Celsius dans la salle de bain et d’environ 10 degrés Celsius dans la salle d’attente ».
A nouveau, dans ce bâtiment, l’éclairage de la salle commune ne fonctionnait pas. Dans certains endroits, l’humidité présente a provoqué le décollement et la chute du revêtement du plafond. L’installation électrique était, par ailleurs, telle qu’elle présentait de nombreux risque de provoquer des électrocutions.
Face à ces constats accablants, les prévenus soutiennent, sans convaincre le Tribunal, à la fois qu’ils n’auraient pas eu connaissance de l’état défectueux des biens, mais aussi que la plupart des défauts – inexistants selon eux au moment de la conclusion du bail – seraient en fait le résultat d’une négligence ou même de dégâts délibérés causés par les locataires eux-mêmes : en effet, selon les prévenus, il s’agirait d’une stratégie orchestrée par des locataires qui, dès lors qu’ils pouvaient prouver qu’ils logeaient dans des locaux insalubres ou inhabitables, bénéficiaient en conséquence d’une priorité pour la location d’un logement social, par l’intermédiaire du CPAS.
Au sujet du premier argument, le Tribunal rétorque que le dossier pénal démontre que les prévenus visitaient régulièrement eux-mêmes les locaux loués et qu’ils percevaient une partie des loyers en espèces, sur place : or, de nombreux défauts structurels étaient si flagrants qu’ils ne pouvaient tout simplement pas être ignorés lors de la visite des locaux (par exemple, éclairage défectueux, absence de serrure sur la porte d’entrée, chauffage défectueux, problèmes d’humidité,…). Par ailleurs, de nombreux éléments du dossier pénal (déclarations des locataires, échanges de sms entre victimes et prévenus, propres déclarations des prévenus) attestent que les prévenus se sont vus fréquemment rappeler par les locataires eux-mêmes les défauts des logements.
Quant au second argument, le Tribunal souligne son absence de crédibilité dès lors que la plupart des défauts cités ci-dessus étaient de nature structurelle, existant vraisemblablement dès le début du bail, relevant donc de la responsabilité du propriétaire bailleur (par ex. : installation électrique défectueuse, absence d’eau chaude et/ou de chauffage, graves problèmes d’humidité et de moisissures,…), et non imputables à une soit-disant mauvaise conduite des locataires.
Le Tribunal ajoute, en outre, que la loi n’exige pas que les circonstances qui se réfèrent à l’atteinte à la dignité humaine soient déjà présentes dès la conclusion du bail. Le moment où ces circonstances se sont manifestées pour la première fois n’est donc pas pertinent pour déterminer s’il s’agit ou non d’un cas de marchand de sommeil. En effet, le propriétaire a l’obligation de veiller à la qualité du bien et à sa conformité aux exigences légales tout au long de la période de location, ce qui implique de vérifier et de contrôler régulièrement l’e’tat général des locaux loués.
(c) Pour conclure au délit de « marchand de sommeil », il ne suffit pas d’abuser de la situation de vulnérabilité des locataires. Il faut en outre que l’auteur de l’infraction ait cherché à tirer un profit anormal de ses actes.
A ce sujet, le tribunal relève que les loyers demandés auraient été conformes aux prix du marché s’ils se rapportaient à des locaux en bon état et pouvant être légalement loués. Or, en l’espèce, les logements locatifs étaient loin de répondre aux normes de qualité applicables, et furent déclarés inhabitables. Dans l’état où ils se trouvaient, les logements n’étaient pas autorisés à être loués et, en fait, étaient si défectueux qu’ils n’offraient aucune forme significative de jouissance locative aux locataires. Selon le Tribunal, tout loyer obtenu pour les biens en question doit donc être considéré comme une forme de profit anormal.
Le Tribunal précise que la question de savoir si le loyer convenu a toujours été payé n’est pas pertinente. En effet, la loi exige seulement que l’auteur du délit de violation de domicile ait eu l’intention de réaliser un profit anormal, mais pas que ce profit ait été effectivement réalisé.
Compte tenu de tous les développements qui précèdent, le Tribunal estime que les trois éléments constitutifs de l’infraction de marchand de sommeil ci-dessus décrits sont réunis.
- Les prévenus vont tenter de tirer argument de la « cause de justification objective »[9], selon lequel il n’y a pas d’infraction lorsque l’acte est prescrit par la loi et ordonné par le Gouvernement.
Les prévenus avancent, sans vergogne, qu’ils ont toujours agi au su et même avec l’approbation (implicite) des autorités compétentes, qui se seraient elles-mêmes révélées incapables de fournir un abri adéquat aux demandeurs de protection internationale, et auraient donc « fermé les yeux » sur le fait que des réfugiés se retrouvaient dans des logements ne pouvant pas être loués sur le marché régulier de la location de logements en raison des défauts attestés.
Le Tribunal rejette l’argument, et constate que les infractions de « marchand de sommeil » n’ont nullement été commises à partir de convictions humaines, mais bien dans l’intention de réaliser un profit anormal.
Le dossier pénal ne contient aucune trace d’une quelconque intervention d’un organisme gouvernemental qui aurait encouragé les prévenus à commettre des actes pénalement répréhensibles. Par conséquent, il n’y a pas d’ordre préalable et légal d’une autorité compétente, y compris sous la forme d’une politique de tolérance.
3. Les peines appliquées aux prévenus[10]
- Pour déterminer la peine, le Tribunal tient traditionnellement compte de l’échelle légale des peines, de la gravité des infractions, de la personnalité (le cas échéant) et des antécédents des prévenus. En l’espèce, le Tribunal rappelle, préliminairement, que le droit à un logement décent est un droit fondamental, que les délits commis en l’espèce sont graves et qu’ils témoignent d’un manque flagrant de sens des normes, de respect pour le bien-être d’autrui ; qu’en l’espèce, les bailleurs ont loué des logements dans des conditions de vie totalement contraires à la dignité humaine, affectant la santé physique et mentale des résidents, et dans le pire des cas, en mettant leurs vies humaines en danger. Le Tribunal ajoute enfin que ces actes ont été commis dans un but d’enrichissement personnel, les prévenus ayant vécu dans la richesse et le luxe, alors qu’ils ont privé la majeure partie de leurs locataires du confort élémentaire d’un logement décent.
- Les infractions ayant été commises dans un but lucratif, les prévenus doivent par principe être dépossédés des produits illicites des infractions commises et privés d’en tirer un quelconque avantage financier. Pour cette raison, le Tribunal procède à la confiscation des biens obtenus illégalement[11].
Quant au montant à confisquer, le Tribunal précise que l’enquête pénale n’a pas fourni suffisamment d’éléments pour quantifier précisément les gains illicites recueillis par les prévenus à travers la location de leurs chancres : les montants retenus par l’inspection régionale du logement et la police impliquent des calculs minimaux basés sur les informations disponibles, qui sont fragmentaires et très probablement sous-estimés. C’est pourquoi, le Tribunal ajoute aux éléments de l’enquête d’autres paramètres pertinents de calcul, avec comme point de départ le nombre de victimes qui ont pu être identifiées par logement, tel qu’il ressort du recensement quotidien. Ce nombre est multiplié par le loyer médian mensuel de l’immeuble concerné ; le résultat obtenu est multiplié par 12 mois pour la plupart des biens, correspondant à la durée standard pour laquelle les baux ont été conclus. Les montants confisqués seront prioritairement affectés à l’indemnisation des victimes.
L’argument des prévenus selon lequel de nombreux locataires n’auraient pas versé régulièrement le loyer convenu est contredit par les résultats de l’enquête pénale. Le Tribunal estime que pour la grande majorité des locataires, il faut supposer qu’ils ont payé correctement le loyer : en effet, si tel n’avait pas été le cas, les locataires concernés auraient été expulsés ou, du moins, les prévenus auraient pris des initiatives à cet égard. Par ailleurs, il convient également de noter que les loyers étaient régulièrement payés en espèces à la demande des prévenus : à cet égard, le Tribunal laisse sous-entendre que les prévenus doivent en subir les conséquences, en terme d’absence de preuve, lorsqu’aucun reçu n’a été délivré aux locataires. En tout état de cause, ajoute le Tribunal, le fait que certains loyers n’auraient pas été payés est largement compensé par les paramètres retenus dans les calculs ci-dessus, qui sont en faveur des prévenus ; par conséquent, il n’y a pas lieu de procéder à une déduction ou à un ajustement supplémentaire des montants indiqués ci-dessus pour les éventuels loyers impayés.
- Par ailleurs, le Code pénal impose la confiscation obligatoire des biens immobiliers, véhicules de l’infraction de « marchands de sommeil »[12]. La confiscation des biens vise à empêcher leur réutilisation pour commettre de nouveaux délits.
Le Tribunal précise que l’impact de la confiscation de ces biens sur les prévenus est raisonnablement proportionné à l’intérêt de la société, vu l’extrême gravité des faits. D’autant plus que les locataires et les organismes officiels ont adressé à plusieurs reprises des lettres aux prévenus pour qu’ils remédient aux défauts des logements, avertissements pleinement ignorés par ces derniers. Au regard de cette attitude de dénégation, la société a donc intérêt à être protégée contre de telles pratiques de manière plus permanente, par le biais de la confiscation. Le Tribunal ajoute également qu’au regard du but légitime poursuivi par cette sanction, elle est pleinement compatible avec l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
- Les père et fils Appeltans ont été condamnés chacun à 40 mois d’emprisonnement effectif et à une amende de près de 2 millions d’euros, et l’épouse Appeltans à un an de prison avec sursis et à une amende de 768 000 €. Tous trois ont également été privés d’un certain nombre de droits civils, comme le droit de vote, pendant cinq ans. Leur entreprise doit payer une amende de 1 560 000 €. Quant à l’homme à tout faire des propriétaires, il a été acquitté.
4. L’indemnisation des victimes
- Les victimes de l’infraction de « marchand de sommeil » se voient accorder des dommages-intérêts équivalents à la totalité des loyers présumés payés, vu l’absence de toute forme de jouissance locative.
Quant aux locataires qui n’étaient victimes que d’insalubrité (prévention B), le Tribunal estime équitablement la perte de jouissance subie à 75% des loyers payés. Les locataires concernés se voient donc accorder des dommages-intérêts correspondant à 75 % des loyers payés.
Tous les locataires se voient par ailleurs octroyer la somme supplémentaire de généralement 500 euros, à titre de dommage moral, et de 100 euros de « frais administratifs ».
- La famille Appeltans est par ailleurs condamnée solidairement à payer des dommages-intérêts à la ville de Louvain d’un montant en principal de 39 085,76 euros, et au CPAS de Louvain d’un montant en principal de 82 081,22 euros, respectivement majorés des intérêts, et ce pour couvrir les frais de relogements des victimes que ces deux autorités locales ont dû exposer.
Autre jurisprudence récente inédite relative à la condamnation de « marchands de sommeil » :
[1] Le nom Appeltans est cité tant cette famille est devenue tristement célèbre, et l’affaire baptisée « Appeltans » au sein de la société civile flamande.
[2] En tant qu’auteur ou coauteur au sens de l’article 66 du Code pénal.
[3] En application de l’article 433decies et suivants du Code pénal.
[4] Voy. art. 433undecies, § 1, points 1 et 2, et 433terdecies, § 1, du Code pénal.
[5] Voy. art. 20 § 1 alinéa 3, 1° Décret 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du logement. Ces infractions sont désormais (depuis le 1er janvier 2021) incriminées aux articles 3.34, 3.35 et 3.36 des décrets codifiés relatifs à la politique flamande du logement du 17 juillet 2020 (« Codex flamand du logement de 2021 »).
[6] Voy. l’infraction d’association de malfaiteurs, incriminée aux articles 322 à 324 du Code pénal.
[7] Le jugement précise que les logements en question ont été loués aux résidents dans chaque cas. Le fait que le dossier pénal ne contienne pas une copie du contrat de location écrit pour tous les locataires n’empêche pas l’accusation d’être prouvée. En effet, l’existence du contrat de location peut être prouvée de différentes manières, notamment par le versement d’un loyer sur le compte de l’un des accusés.
[8] Selon le Tribunal, le fait que certains locataires aient obtenu la reconnaissance du statut de réfugié n’enlève rien à la précarité de leur statut administratif.
[9] En application de l’article 70 du Code pénal.
[10] Les infractions établies ayant été commises avec la même intention criminelle, le tribunal, en application de l’article 65 du Code pénal, n’a prononcé qu’une seule peine pour chacun des prévenus.
[11] En application des articles 42, 3° et 43bis du Code pénal.
[12] Voy. l’article 433terdecies, deuxième alinéa, du Code pénal.
Publié le: 16/09/2025
Dans cette affaire, l’inspection régionale du logement (la DIRL) avait adressé, le 15 septembre 2022, aux propriétaires de l’immeuble situé à 1030 Schaerbeek, une décision d’interdiction immédiate de location de deux logements visités. L’immeuble était en réalité divisé en 32 logements qui n’auraient jamais dû être mis en location, quel que soit le montant des loyers, les investigations menées, notamment dans le cadre de l’enquête pénale, ayant révélé que leur état n’en permettait pas l’occupation dans des conditions compatibles avec la dignité humaine. Le Tribunal correctionnel de Bruxelles[1], dans son jugement 21 novembre 2024, a condamné les propriétaires de l’infraction dites de « marchand de sommeil »
Les enseignements juridiques du jugement
Le jugement rappelle utilement les éléments constitutifs de l’infraction de « marchand de sommeil »[2].
Pour que les personnes suspectées soient condamnées comme « marchands de sommeil », les quatre éléments matériels de l’infraction doivent être réunis : une mise à disposition, une location ou une vente d’un bien meuble ou immeuble (1) ; dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine (2) ; engendrant un profit anormal retiré par le propriétaire (3) ; et moyennant l’abus de la situation vulnérable de la victime (4).
Il faut également prouver l’élément moral dans le chef du suspect, qui consiste dans l’intention de réaliser un profit anormal[3], et ce en connaissance de cause, à savoir pleinement conscient de la situation de vulnérabilité de la victime et de l’état du logement non imputable aux locataires.
Le jugement relève que les circonstances telles que l’absence, l’insuffisance ou la dangerosité manifestes d’équipements électrique ou sanitaire, ou encore des lieux manifestement trop petits eu égard au nombre de locataires hébergés, constituent des indications d’infraction[4].
Il rappelle que le profit anormal va notamment résulter de loyers relatifs à des lieux mis en location dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine[5].
Ainsi, et sans préjudice des droits de la défense du prévenu, s’il s’agit d’un logement insalubre, constaté comme tel par les autorités compétentes, l’anormalité du profit est de facto démontrée[6]. Le rapport qui constate l’état d’insalubrité de l’immeuble ne doit pas nécessairement être dressé avant la location ; les autorités compétentes peuvent déclarer insalubre un bâtiment postérieurement à la location, voire postérieurement au début de l’enquête judiciaire[7].
En d’autres termes, lorsque les lieux où les faits ont été commis n’auraient jamais dû être occupés, soit parce que l’administration en avait interdit l’occupation, soit parce que les investigations y menées ont révélé que leur état n’en permettait pas l’occupation dans des conditions compatibles avec la dignité humaine, tout loyer ou avantage perçu par le prévenu en contrepartie de cette occupation doit être considéré comme anormal[8].
En l’espèce, le tribunal va considérer que les prévenus ont réalisé un profit anormal au préjudice de l’ensemble des locataires de l’immeuble au regard de l’incompatibilité de la location de ces lieux avec la dignité humaine.
Les éléments factuels déterminants
Les éléments évoqués par le rapport de la DIRL, établissant qu’aucun des logements n’est conforme au Code bruxellois du logement et qui ont largement contribué à ce que le logement soit jugé incompatible avec la dignité humaine, sont notamment les suivants :
- Présence d’humidité ascensionnelle dans les logements des sous-sols des 2 bâtiments ainsi que les parties communes du bâtiment arrière (cuisine, séjour et sanitaires) également au sous-sol ;
- Présence de cafards et de souris dans les logements ;
- Caractère exigu des logements : un logement doit avoir une surface de 18m2 minimum pour une personne,
- Infrastructure largement déficitaire : deux ensembles de taques électriques de 4 zones pour l’ensemble des 36
Ces éléments ont été corroborés par des constatations policières réalisées lors des deux visites de l’immeuble, épinglant notamment une insalubrité des logements, une absence quasi générale de baux avec paiement des loyers de la main à la main par le biais d’un gérant qui se présente en début de mois, absence d’entretien du bâtiment et état déplorable des sanitaires.
L’abus par les prévenus de la situation vulnérable des victimes, en l’espèce les locataires, est également démontré au-delà de tout doute raisonnable notamment de par :
- La situation sociale précaire des locataires, soit émargeant à la mutuelle ou au CPAS, ou atteint de troubles psychiatriques, voir encore la situation administrative précaire ou illégale d’un grand nombre de locataires, plusieurs des personnes auditionnées ayant expliqué être resté dans les lieux loués par nécessité ;
- L’absence d’un écrit pour le bail, ou d’un enregistrement du bail dans le chef de la plupart des personnes en situation administrative précaire ;
- Cette situation vulnérable des locataires est également corroborée par le comportement manifestement harcelant du prévenu à leur égard.
Selon le Tribunal correctionnel, dès lors que les prévenus connaissaient l’état de vulnérabilité des locataires et qu’ils ont volontairement laissé les immeubles dans une situation contraire à la dignité humaine, il ne fait aucun doute qu’en réclamant des loyers, ils ont bien eu l’intention de réaliser un profit anormal par rapport à celui qu’ils auraient pu en réalité exiger, soit, en l’espèce, aucun.
Ils sont donc condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis, les produits de la vente de l’immeuble litigieux sont confisqués et seront affectés notamment à l’indemnisation des victimes.
[1] Il s’agit plus précisément de la 61ème chambre correctionnelle extraordinaire du Tribunal de 1ère instance francophone de Bruxelles.
[2] L’infraction est incrimée aux articles 433decies et suivants du Code pénal.
[3] La preuve de cette intention passe dès lors souvent par la démonstration du caractère anormal du profit. Voy. en ce sens : F. Lugentz, « Chapitre XIII – Les marchands de sommeil » in Beernaert, M.-A. et al. (dir.), Les infractions – Volume 2 – Les infractions contre les personnes, 2 édition, Bruxelles, Larcier, 2020, p.865.
[4] Doc. parl., 51-1560/001, Exposé des motifs, p. 26.
[5] Cass., 9 février 2011, P 10 1616 F, Pas.,p 470.
[6] Doc. parl., Sénat, sess ord 2004-2005, n° 3-1138/4, p.21.
[7] F. Lugentz, op. cit., p. 872.
[8] Avec pour conséquence, du point de vue de la sanction, qu’il constitue intégralement un profit illicite, susceptible de confiscation conformément à l’article 42, 3°, du Code péna1 : F. Lugentz, op. cit., p. 873.
Publié le: 13/08/2025
Alors que le demande principale émane du propriétaire contre son locataire, en vue d’obtenir du juge de paix la validation du congé (= rupture de de bail), le locataire introduit une demande reconventionnelle à l’encontre du propriétaire aux fins que celui-ci produise tous les relevés de charges et les justificatifs liés aux charges locatives, et rembourse toutes les provisions versées depuis le 1er septembre 2006 qui ne seraient pas justifiées. Au regard de l’ensemble des justificatifs produits devant le Juge, celui-ci considère, après vérification, que le locataire n’est pas fondé à réclamer un trop perçu.
Publié le: 13/08/2025
Le Tribunal condamne le propriétaire du chef d’homicide involontaire par défaut de prévoyance et de précaution. En effet, un des enfants de la locataire est mort dans un incendie déclenché suite à l’installation de convecteurs au gaz, achetés d’occasion par le propriétaire, dans son appartement particulièrement vétuste et mal chauffé. Or, la taille du convecteur placé dans la chambre des enfants était disproportionnée par rapport à la taille de la pièce, laquelle n’était par ailleurs pas munie d’un système d’aération suffisant.
Publié le: 08/07/2025
Résumé Général
À la suite d’un contrôle de la Direction de l’Inspection Régionale du logement (DIRL) les propriétaires notifient le renon au bailleur principal et aux occupants. Les sous-locataires introduisent une demande en reconnaissance de nullité du bail et exigent la restitution des loyers payés. Un jugement est rendu et condamne le bailleur en reconnaissant la nullité du bail de sous-location. Le bailleur fait appel de cette décision mais le juge confirme le premier jugement à l’exception qu’il ne retient pas la demande en garantie contre le propriétaire n°2.
Résumé des faits
L’immeuble en question est soumis à une interdiction de mise en location de l’appartement du 2e étage depuis le 4 avril 2011. L’immeuble, en son entièreté, est donné en location par les propriétaires au bailleur en 2012 et celui-ci sous-loue les étages de l’immeuble dont l’étage 2, soumis à une interdiction de mise en location. À la suite d’une inspection de la DIRL (organisme qui a interdit la location du 2e étage) en 2019 les propriétaires font savoir qu’ils comptent mettre fin au bail.
Les locataires du deuxième étage ont demandé, dans une procédure introduite en 2019, la nullité des contrats de bail, la condamnation à la restitution du montant correspondant aux loyers et à la garantie locative ainsi que la réduction de l’indemnisation d’occupation à un taux maximum de 40% du loyer payé. Le bailleur demandait, quant à lui, la déclaration d’irrecevabilité du locataire n°2 mais ne s’opposait pas à la déclaration de nullité du contrat de bail du locataire n°1 si elle était établie sur la base du droit public. Il demande également le paiement du dernier loyer ainsi que le paiement des indemnités de préavis et demande que le bail qu’il a signé avec les propriétaires de l’immeuble soit considéré comme la cause de la nullité de son bail de sous-location.
Les propriétaires qui font l’objet d’une action en intervention forcée et en garantie demandent que cette demande soit déclarée irrecevable.
Arguments des parties
Les locataires font valoir que le contrat de bail doit être déclaré nul, étant donné l’interdiction de le mettre en location. Ainsi, ils demandent la restitution des loyers payés. Le bailleur demande que les propriétaires soient ajoutés à la cause car ce sont eux qui ont d’abord mis en location l’immeuble dans son entièreté, y compris le deuxième étage.
Raisonnement
L’appel formé par le bailleur à l’encontre de la décision est déclaré irrecevable car il a été introduit tardivement et l’appel formé par le bailleur sur la base d’une autre décision ne peut être déclaré recevable car les locataires, contre qui l’appel est formé, ne sont pas parties à la cause.
Décision
Le Tribunal de première instance de Bruxelles confirme en tous points le jugement du 15 janvier 2021 prononcé par le juge de paix du deuxième canton de Bruxelles, à l’exception de la demande en garantie formée contre le propriétaire n°2.
Ainsi, la juge condamne le bailleur aux dépens d’appel des locataires et du propriétaire n°2. Condamne également le propriétaire n°1 aux dépens d’appel du bailleur.
Publié le: 04/06/2025
Résumé général
Dans cette décision, le juge de paix du premier canton de Schaerbeek a reconnu la responsabilité de la société SRL V pour avoir logé plusieurs personnes dans un immeuble gravement insalubre et pour les avoir expulsées de manière brutale et illégale. Les trois demandeurs, sans titre de séjour mais occupant les lieux en vertu de baux verbaux ou informels, avaient vécu dans des conditions précaires (installations électriques et sanitaires défaillantes, présence de nuisibles, absence de chauffage, etc.) avant que certaines de leurs chambres ne soient démolies sans avertissement. Le tribunal a constaté l’existence de baux, leur nullité pour cause urbanistique, mais a reconnu que les loyers avaient bien été payés. Il a condamné la société à verser des indemnités pour trouble de jouissance, expulsion sauvage, et frais de relogement, tout en rejetant les demandes reconventionnelles de loyers impayés. Cette décision marque une reconnaissance claire des droits des occupants précaires à un logement décent et à une protection contre les pratiques abusives de propriétaires agissant hors cadre légal.
Résumé des faits
Les trois demandeurs occupaient depuis plusieurs mois des chambres situées dans un immeuble vétuste à Schaerbeek, propriété de la SRL V. Certains y résidaient depuis 2019. Le bâtiment avait été transformé illégalement en logements étudiants sans permis d’urbanisme. En avril-mai 2022, la société a procédé à des démolitions internes et à l’expulsion de plusieurs occupants sans décision de justice. Une enquête administrative a ensuite établi l’insalubrité du lieu. Les demandeurs ont introduit une action pour faire reconnaître leurs droits et obtenir réparation.
Arguments des parties
Les demandeurs invoquaient un trouble de jouissance grave, des conditions de logement indignes, et une expulsion violente. Ils demandaient la restitution des loyers perçus, des indemnités pour les troubles subis et le remboursement des frais de relogement.
La société V soutenait que les demandeurs occupaient illégalement les lieux, sans baux réguliers, et réclamait, à titre reconventionnel, le paiement de loyers qu’elle estimait impayés depuis 2019 à 2022.
Raisonnement du tribunal
Le juge a reconnu que :
- Les baux étaient valablement établis, y compris à titre verbal, sur base de nombreux éléments concordants.
- Ces baux étaient nuls ab initio en raison de l’absence de permis d’urbanisme pour un usage résidentiel, mais cela n’exclut pas le droit à une indemnisation.
- Les demandeurs ont bien payé leurs loyers, même en l’absence de preuves écrites, étant donné la gestion informelle imposée par le bailleur.
- Les conditions de logement étaient indignes au vu des constats d’inspection : humidité, parasites, installations défectueuses, sécurité absente.
- L’expulsion brutale de certains locataires, sans décision judiciaire, constitue une violation manifeste de leurs droits.
La demande de restitution intégrale des loyers a été écartée pour éviter un enrichissement sans cause, mais des indemnités pour trouble de jouissance et expulsion sauvage ont été accordées.
Décision du tribunal
La SRL V a été condamnée à verser :
- 4.375 € à L pour trouble de jouissance, 900 € pour expulsion sauvage, 450 € pour relogement.
- 1.225 € à A pour trouble de jouissance, 1.980 € pour expulsion sauvage, 450 € pour relogement.
- 875 € à T pour trouble de jouissance, 450 € pour relogement (pas d’expulsion reconnue).
La demande de la société V de récupérer des arriérés de loyers a été rejetée. Elle a été condamnée aux frais de procédure pour un total de 3.772 €, et le jugement a été déclaré exécutoire par provision.
Publié le: 04/06/2025
Résumé général
Dans cette décision, le juge de paix du premier canton de Schaerbeek a statué sur un litige opposant la société SRL V à plusieurs anciens locataires d’un immeuble insalubre situé à Schaerbeek. La société, propriétaire depuis 2019, avait engagé une procédure d’expulsion pour occupation sans droit ni titre. Toutefois, les défendeurs ont prouvé l’existence de baux (écrits ou tacites), reconnus par le tribunal, même si ceux-ci ont été déclarés nuls pour illégalité urbanistique. Le tribunal a retenu que les locataires avaient payé leurs loyers, subi un trouble de jouissance important, et, pour certains, vécu dans des conditions de logement inacceptables. Il a condamné la société à verser des indemnités pour le trouble de jouissance et les frais de relogement, mais a rejeté les demandes d’indemnisation pour expulsion sauvage, estimant que les chambres des défendeurs n’avaient pas été directement concernées par les démolitions. Cette décision met en lumière la nécessité pour les bailleurs d’assurer la conformité urbanistique et la salubrité des logements sous peine de nullité du bail et de devoir assumer les conséquences financières.
Résumé des faits
La société V est propriétaire depuis 2019 d’un immeuble transformé en chambres d’étudiants sans permis d’urbanisme. Plusieurs occupants, dont les défendeurs, y résidaient depuis plusieurs années. En 2022, après une tentative d’expulsion brutale et des démolitions dans l’immeuble, la société a saisi la justice pour obtenir un ordre de déguerpissement. Parallèlement, les locataires ont introduit des demandes reconventionnelles pour obtenir la reconnaissance de leurs droits, la nullité des baux, et des indemnités.
Arguments des parties
La société V affirmait que les défendeurs occupaient les lieux sans titre, ne payaient pas de loyer, et demandaient leur expulsion ainsi que le paiement d’arriérés de loyers.
Les défendeurs, représentés par avocat, soutenaient au contraire avoir conclu des baux avec la société ou ses représentants, avoir payé des loyers, et dénonçaient un logement indigne, des expulsions illégales, et des troubles de jouissance. Ils demandaient le remboursement des loyers, une indemnité pour logement insalubre, une indemnité de relogement et, pour certains, une réparation pour expulsion sauvage.
Raisonnement du tribunal
Le juge a d’abord reconnu l’existence de baux, appuyée par des documents, paiements, et échanges entre les parties. Il a constaté que les logements n’étaient pas conformes aux normes urbanistiques, rendant les baux nuls dès leur origine. Toutefois, les loyers ayant bien été payés, aucune dette locative ne pouvait être retenue contre les défendeurs. Le juge a ensuite établi, sur base des rapports de l’Inspection régionale du logement et de sa propre visite, que les lieux ne respectaient pas les normes minimales de sécurité et de salubrité. Il a donc estimé que les locataires avaient subi un trouble de jouissance, évalué à 175 € par mois d’occupation.
Il a rejeté les demandes pour expulsion sauvage, estimant que les défendeurs n’avaient pas été directement affectés par les démolitions des chambres situées à l’arrière. Il a en revanche accordé une indemnité de relogement forfaitaire de 450 € à chacun des défendeurs.
Enfin, il a débouté V de sa demande reconventionnelle pour loyers impayés, en l’absence de preuves et au vu de son comportement fautif.
Décision du tribunal
Le juge de paix a :
- Déclaré nuls les baux pour illégalité urbanistique.
- Rejeté les demandes de V pour arriérés de loyers.
- Condamné V à verser :
- 6.125 € à K, F et R, et 3.500 € à C pour troubles de jouissance.
- 450 € à chacun des quatre pour frais de relogement.
- Rejeté les demandes pour expulsion sauvage.
- Condamné V aux frais de procédure (4.500 €).
- Déclaré le jugement exécutoire par provision, nonobstant appel.
Publié le: 04/06/2025
Résumé général
Dans ce jugement, la société J SRL, propriétaire d’un immeuble, a obtenu l’expulsion d’un collectif de femmes sans abri occupant illégalement le bâtiment. L’immeuble, anciennement un hôtel et actuellement à l’état de projet de rénovation, avait été investi par une trentaine de femmes en situation de grande précarité, sans titre ni droit, après que les serrures eurent été forcées. La société avait initialement obtenu une ordonnance d’expulsion en référé, mais celle-ci a été annulée à la suite d’une tierce-opposition. Elle a alors introduit une action au fond devant le juge de paix, qui a reconnu l’occupation sans droit, mais a accordé un délai d’un mois avant l’expulsion, en raison des circonstances exceptionnelles (présence d’enfants, précarité extrême). Le tribunal a rejeté la demande d’astreinte, autorisé la désignation d’un expert pour évaluer les dégâts, et a condamné solidairement les occupantes aux dépens. Ce jugement montre que le droit de propriété l’emporte juridiquement sur le droit au logement, mais que le juge peut moduler l’exécution de l’expulsion pour raisons humanitaires.
Résumé des faits
La SRL J, propriétaire du bâtiment, découvre le 18 janvier 2024 que celui-ci est occupé sans autorisation. Une plainte est déposée. Une ordonnance d’expulsion est obtenue en référé le 23 janvier, mais annulée le 5 février après tierce-opposition. L’occupation est revendiquée par un collectif de femmes sans-papiers, ayant installé leur domicile dans le bâtiment. Le 1er mars 2024, J introduit une citation devant le juge de paix en vue d’obtenir une expulsion par voie ordinaire.
Arguments des parties
La société J demandait au juge :
- de constater l’occupation sans droit ni titre,
- d’ordonner l’expulsion avec effet sous huit jours,
- de prévoir une astreinte de 250 €/jour,
- de désigner un expert pour évaluer les dégâts,
- de condamner solidairement les occupantes aux frais de justice.
Les occupantes, assistées d’un avocat, reconnaissaient leur occupation illégale mais invoquaient :
- leur extrême précarité,
- l’absence de toute solution de relogement,
- leur comportement respectueux des lieux,
- le droit au logement et la dignité humaine (article 23 de la Constitution),
et demandaient à pouvoir rester six mois supplémentaires dans les lieux.
Raisonnement du tribunal
Le juge a constaté :
- que les occupantes reconnaissent l’illégalité de leur présence,
- que l’article 23 de la Constitution ne permet pas de s’installer sans autorisation dans un bien privé,
- que la société J n’abuse pas de son droit de propriété et a un intérêt légitime à récupérer l’immeuble (documents administratifs, risques juridiques et financiers),
- qu’un projet de rénovation est en cours, même s’il n’est pas imminent.
Toutefois, en raison de la situation humaine très précaire (certaines femmes sont accompagnées d’enfants), le juge a estimé qu’un délai d’un mois avant exécution de l’expulsion était justifié, pour permettre aux intéressées de chercher une solution. Il a refusé d’ordonner une astreinte. Il a désigné un expert judiciaire pour estimer les dégâts, avec provision de 1.210 € à charge de J.
Décision du tribunal
Le juge de paix :
- constate l’occupation sans titre ni droit,
- ordonne l’expulsion des occupantes, exécutable un mois après la signification,
- rejette la demande d’astreinte,
- désigne un expert judiciaire pour évaluer les éventuels dégâts dans l’immeuble,
- condamne solidairement les défenderesses aux dépens, pour un total de 1.240,88 €,
- condamne également 30 défenderesses au droit de mise au rôle de 50 € chacune.
Publié le: 04/06/2025
Résumé général
Dans cette affaire, la commune de Baelen a sollicité l’expulsion de deux membres de la communauté des gens du voyage qui occupaient, sans droit ni titre, un terrain communal à Membach, anciennement toléré jusqu’aux inondations de juillet 2021. Malgré plusieurs tentatives de relogement par la commune, les défendeurs sont revenus sur le site, invoquant une autorisation verbale et un droit au logement adapté à leur mode de vie. La commune, invoquant le danger en cas de crues et les directives environnementales, a demandé leur expulsion immédiate sous peine d’astreinte. Le tribunal a jugé l’action recevable et partiellement fondée, ordonnant l’expulsion des défendeurs mais accordant un délai de cinq mois avant l’exécution de la mesure, et reconnaissant l’obligation pour la commune de leur proposer un terrain adapté avec les raccordements nécessaires. Cette décision illustre un équilibre entre le respect de la sécurité publique et la prise en compte du droit au logement des minorités mobiles, tout en encadrant strictement les conditions d’occupation du domaine public.
Résumé des faits
À la suite des inondations de juillet 2021, un terrain communal de Baelen auparavant occupé par trois familles de gens du voyage a été évacué. Deux familles ont été relogées, mais une troisième, composée des défendeurs, est revenue s’y installer contre l’avis du Bourgmestre. Bien qu’ayant conservé leur adresse administrative sur le terrain, ils y ont réinstallé leur caravane plusieurs mois après l’évacuation, refusant les solutions de relogement proposées par la commune. Une mise en demeure leur a été envoyée, restée sans réponse, ce qui a conduit à la saisine du juge de paix.
Arguments des parties
La commune de Baelen a demandé l’expulsion des défendeurs sous huit jours, la possibilité de recourir à la force publique et la mise à leur charge des frais de justice, arguant du danger en cas de nouvelle inondation, du non-respect des propositions de relogement, et de l’occupation illégale des parcelles. Elle a également évoqué la circulaire sur la constructibilité en zones inondables, interdisant toute nouvelle installation, même temporaire.
Les défendeurs ont contesté l’expulsion, affirmant qu’un accord datant de 2003 leur permettait de rester sur place. Ils ont invoqué leur droit au logement, leur mode de vie spécifique lié à leur appartenance à la communauté des gens du voyage, et ont demandé, à titre subsidiaire, que la commune leur propose un nouveau terrain adapté et raccordé aux services de base. À défaut, ils sollicitaient un délai de six mois pour quitter les lieux.
Raisonnement du tribunal
Le juge a d’abord rappelé que l’occupation initiale reposait sur une convention provisoire conclue en 2002, tolérée pendant près de vingt ans. Toutefois, les inondations de 2021 ont radicalement modifié la situation, rendant les lieux inadaptés et dangereux pour toute réinstallation. Il a estimé que la commune était fondée à mettre fin à la tolérance et à exiger l’expulsion, notamment au vu des normes de sécurité publique et des directives urbanistiques. Toutefois, le juge a aussi souligné que les défendeurs, membres d’une communauté vulnérable, bénéficient d’un droit au logement effectif et adapté. Il en découle une obligation pour la commune de proposer un hébergement approprié, même en cas d’expulsion. Enfin, le juge a retenu l’argument de proportionnalité et a suspendu l’exécution de l’expulsion pour une durée de cinq mois, afin de permettre aux défendeurs de se reloger dignement.
Décision du tribunal
Le tribunal a déclaré la demande recevable et en grande partie fondée. Il a ordonné l’expulsion des défendeurs, mais a suspendu l’exécution de la mesure pendant cinq mois à compter de la signification du jugement. Il a condamné les défendeurs à une astreinte de 100 euros par jour s’ils ne libèrent pas les lieux passé ce délai. Il a également imposé à la commune de proposer un terrain apte à accueillir les défendeurs avec les raccordements essentiels (eau, électricité, gestion des déchets). Les frais de justice ont été mis à la charge des défendeurs, mais l’indemnité de procédure a été réduite à 250 euros en raison de leur statut d’aide juridique de deuxième ligne.
Publié le: 04/06/2025
Résumé général
Par son arrêt n° 65/2024, la Cour constitutionnelle rejette plusieurs recours en annulation visant la loi du 19 décembre 2022 relative aux secondes primes fédérales d’électricité et de gaz. Ces recours émanaient de particuliers se chauffant exclusivement à l’électricité, ainsi que de résidents en habitat collectif (notamment en centres de soins résidentiels), qui dénonçaient une inégalité de traitement dans l’octroi de ces primes. Les requérants estimaient que l’exclusion des ménages sans contrat individuel d’énergie, ou ceux utilisant exclusivement l’électricité pour se chauffer, était discriminatoire. La Cour a toutefois jugé que les catégories concernées n’étaient pas traitées de manière inconstitutionnelle. Elle reconnaît que les différences de traitement sont basées sur des critères objectifs et proportionnés aux objectifs socio-économiques du législateur, notamment la nécessité de répondre rapidement à la crise énergétique. Elle souligne que les bénéficiaires exclus sont indirectement confrontés à la hausse des prix, mais de manière atténuée via les dispositifs collectifs. L’arrêt met en lumière la large marge d’appréciation du législateur dans les politiques de crise, même en cas d’inégalités apparentes, dès lors qu’elles reposent sur une justification raisonnable et un objectif légitime.
Résumé des faits
À la suite de la hausse brutale des prix de l’énergie, le législateur belge a adopté deux lois (octobre et décembre 2022) pour accorder des primes forfaitaires aux ménages. Plusieurs personnes physiques et associations ont contesté la constitutionnalité de ces mesures, notamment l’absence d’aide équivalente pour les ménages chauffés uniquement à l’électricité ou vivant en habitat collectif sans contrat personnel de fourniture d’énergie.
Arguments des parties
Les requérants ont invoqué une violation des articles 10 et 11 de la Constitution (égalité et non-discrimination), ainsi que des traités internationaux. Ils dénoncent des différences de traitement injustifiées :
– entre ménages se chauffant au gaz/gasoil/propane et ceux à l’électricité,
– entre titulaires de contrats individuels et résidents de centres collectifs,
– entre personnes âgées/handicapées et les autres, en raison d’une discrimination indirecte fondée sur la situation ou le handicap.
Ils soutiennent que les primes devraient être accordées en fonction de la consommation ou des coûts réellement supportés.
Le Conseil des ministres a rétorqué que les critères utilisés sont objectifs, simples et permettent une mise en œuvre rapide, visant à toucher un maximum de bénéficiaires dans le cadre des compétences fédérales. Il ajoute que les bénéficiaires exclus sont en partie protégés via d’autres dispositifs ou aides indirectes.
Raisonnement du tribunal
La Cour a d’abord statué sur la recevabilité des recours : certains ont été rejetés faute d’intérêt direct, mais d’autres ont été jugés recevables, notamment ceux émanant de personnes vivant dans des centres de soins. Sur le fond, elle reconnaît que des différences de traitement existent mais les estime justifiées par le contexte de crise et la nécessité d’une réponse rapide. Elle rappelle que le législateur dispose d’une large marge d’appréciation en matière socio-économique. Pour les ménages se chauffant uniquement à l’électricité, la Cour note que bien qu’ils ne reçoivent pas autant d’aides que d’autres, ils bénéficient d’autres mesures (TVA réduite, etc.). Quant aux résidents de centres collectifs, la Cour considère qu’ils ne supportent pas directement les coûts énergétiques, ceux-ci étant intégrés dans le tarif journalier, souvent régulé. L’éventuelle discrimination indirecte fondée sur l’âge ou le handicap est jugée justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
Décision du tribunal
La Cour constitutionnelle rejette tous les recours. Elle conclut que les dispositions attaquées de la loi du 19 décembre 2022 ne violent pas les principes d’égalité et de non-discrimination et qu’aucune des catégories concernées n’a subi une atteinte injustifiée à ses droits. Les mesures contestées sont jugées constitutionnellement valables dans le cadre des politiques d’urgence adoptées face à la crise énergétique.
Publié le: 04/06/2025 - Mis à jour le : 04/06/2025
Résumé général
Dans son arrêt n° 64/2024, la Cour constitutionnelle a rejeté un recours en annulation introduit par plusieurs associations de propriétaires et deux particuliers contre le décret wallon du 19 octobre 2022. Ce décret limitait temporairement l’indexation des loyers selon la performance énergétique des logements (certificats PEB). Le recours invoquait notamment une atteinte au droit de propriété, une discrimination, une méconnaissance de la sécurité juridique et une incompétence de la Région wallonne. La Cour a reconnu que les mesures portaient atteinte aux intérêts des propriétaires, mais a jugé que cette atteinte était proportionnée à un objectif d’intérêt général : protéger les locataires contre la flambée des prix de l’énergie et inciter à la rénovation énergétique. Elle a estimé que la Région wallonne était compétente pour adopter ces règles dans le cadre de sa politique du logement. Ce jugement confirme la possibilité pour les Régions de moduler l’indexation des loyers à des fins environnementales et sociales, en s’appuyant sur des critères comme le PEB, malgré leurs imperfections.
Résumé des faits
Le décret du 19 octobre 2022 prévoyait :
- une indexation limitée à 75 % pour les logements PEB D,
- à 50 % pour les PEB E,
- aucune indexation pour les PEB F, G ou sans certificat,
- avec application rétroactive à partir du 1er novembre 2022.
Plusieurs associations (S, V) et des propriétaires individuels ont contesté cette mesure, qui touchait environ 75 % des logements wallons.
Arguments des parties
Les requérants faisaient valoir :
- que la Région wallonne n’était pas compétente pour modifier l’équilibre contractuel du droit civil fédéral ;
- que le critère du PEB était imprécis, instable, discriminant et peu fiable ;
- que le décret violait les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, ainsi que l’article 1er du Protocole 1 CEDH ;
- qu’il portait une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique et aux attentes légitimes des bailleurs.
Le Gouvernement wallon a défendu :
- sa compétence en matière de bail d’habitation et de logement,
- la nécessité et l’urgence des mesures dans un contexte de crise énergétique,
- la pertinence du PEB comme outil réglementaire reconnu au niveau européen.
Raisonnement du tribunal
La Cour a confirmé :
- que la Région wallonne est bien compétente pour réguler les baux d’habitation, y compris l’indexation,
- que le critère PEB est objectif, même s’il n’est pas parfait,
- que les différences de traitement entre logements selon leur performance énergétique sont justifiées,
- que les mesures sont proportionnées : elles sont limitées dans le temps, ciblées, et permettent une adaptation après amélioration du PEB,
- que les locataires sont plus affectés par l’explosion des coûts énergétiques et méritaient protection,
- que les bailleurs ne sont pas privés de leur droit de propriété, mais subissent une régulation de l’usage de leur bien, compatible avec la CEDH,
- qu’il n’y a pas de traitement inégal entre propriétaires selon leur type de bien ou leur ancienneté de bail.
Décision du tribunal
La Cour constitutionnelle :
- rejette intégralement le recours,
- confirme la validité constitutionnelle du décret wallon du 19 octobre 2022,
- reconnaît la légitimité d’une modulation de l’indexation des loyers en fonction de critères énergétiques dans un contexte de crise.
Publié le: 04/06/2025 - Mis à jour le : 04/06/2025
Résumé général
Par son arrêt n° 63/2024, la Cour constitutionnelle a rejeté les recours introduits par plusieurs associations de propriétaires contre l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 13 octobre 2022. Cette ordonnance limitait temporairement l’indexation des loyers des logements peu performants énergétiquement (certificats PEB E, F, G ou absence de certificat). Les requérants invoquaient une atteinte au droit de propriété, une discrimination injustifiée, une atteinte à la sécurité juridique et une incompétence de la Région bruxelloise pour légiférer en la matière. La Cour a reconnu que la mesure constituait une ingérence dans le droit de propriété, mais a jugé cette ingérence justifiée, temporaire, proportionnée et conforme à l’objectif d’intérêt général : protéger les locataires face à la crise énergétique et inciter les propriétaires à améliorer la performance énergétique des logements. Elle a donc rejeté l’ensemble des moyens invoqués. Cet arrêt confirme la compétence des Régions pour réglementer l’indexation des loyers dans le cadre de leur politique du logement et de l’énergie, et valide l’usage du certificat PEB comme critère objectif de différenciation.
Résumé des faits
Le 13 octobre 2022, la Région de Bruxelles-Capitale a adopté une ordonnance modifiant temporairement les règles d’indexation des loyers pour les logements peu performants en énergie. L’indexation était réduite à 50 % pour les logements de classe E et interdite pour ceux de classe F, G ou sans certificat. Plusieurs associations de propriétaires (S, V …) et un particulier ont introduit deux recours en annulation devant la Cour constitutionnelle. Ils contestaient la compétence de la Région et les effets discriminatoires et disproportionnés de cette mesure.
Arguments des parties
Les requérants ont soutenu :
- que la Région bruxelloise n’était pas compétente pour légiférer sur l’indexation des loyers, qui relèverait du droit civil fédéral et de la politique des prix de l’énergie,
- que le critère du certificat PEB était flou, inégalitaire et peu fiable,
- que la mesure portait atteinte au droit de propriété (article 16 de la Constitution et article 1er du 1er Protocole CEDH),
- qu’elle violait les principes d’égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution), notamment entre bailleurs, entre locataires privés et sociaux, et entre propriétaires-occupants et bailleurs,
- et qu’elle portait atteinte à la sécurité juridique et aux attentes légitimes des propriétaires.
Les gouvernements régionaux (Bruxelles, Wallonie, Flandre) et le Parlement bruxellois ont défendu la mesure comme étant justifiée par l’urgence, proportionnée, conforme aux compétences régionales et fondée sur un critère objectif et fonctionnel (PEB).
Raisonnement du tribunal
La Cour a d’abord confirmé que :
- la compétence en matière de baux d’habitation (y compris l’indexation des loyers) a bien été transférée aux Régions depuis la 6e réforme de l’État,
- le certificat PEB constitue un critère objectif, pertinent et vérifiable,
- la mesure poursuivait deux objectifs légitimes : protéger les locataires contre la flambée des prix de l’énergie et encourager la rénovation énergétique du parc locatif,
- la limitation d’indexation était temporaire (12 mois), proportionnelle à la classe énergétique du logement, et n’affectait pas la valeur nominale du loyer,
- les bailleurs pouvaient facilement obtenir un certificat et avaient accès à des aides à la rénovation,
- il n’y avait pas de discrimination illégitime ni d’atteinte à la sécurité juridique justifiant une annulation.
Elle a donc rejeté l’ensemble des moyens comme infondés.
Décision du tribunal
La Cour constitutionnelle :
- rejette les deux recours en annulation,
- confirme la constitutionnalité de l’ordonnance bruxelloise du 13 octobre 2022,
- valide la compétence régionale pour encadrer l’indexation des loyers selon la performance énergétique des logements,
- et entérine l’usage du certificat PEB comme critère réglementaire et politique