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Un fournisseur condamné par le Juge de Paix pour démarchage illégal.

Publié le: 29/01/2020 - Mis à jour le : 30/01/2020

Un client a été victime d’un démarchage abusif de la part de Lampiris. Le fournisseur poursuit ensuite le client en justice pour des sommes impayées. Dans un jugement riche d’enseignements, le Juge de Paix déclare inexistant le contrat qui lie le client à Lampiris et dispense le client de payer les arriérés de fourniture d’énergie. Le contrat liant précédemment le client à Engie est, par ailleurs, restauré. C’est donc comme si le contrat avec Lampiris n’avait jamais existé1.

Quels sont les faits ?

Le consommateur en cause (appelé défendeur dans l’action en justice) était client en gaz d’Engie Electrabel depuis 2015. Il avait opté pour une domiciliation et des factures digitales. En juin 2018, un démarcheur du fournisseur Lampiris se serait présenté à l’adresse du consommateur en se faisant passer pour un agent d’Engie. Suite à une manœuvre frauduleuse, ou à tout le moins déloyale, ce dernier aurait obtenu que le consommateur lui remette une facture de consommation que le démarcheur se serait empressé de prendre en photo sans autre explication.

A la suite de cet événement et en rentrant de vacances, le consommateur démarché se rend compte qu’une facture de consommation lui est adressée par Lampiris pour le mois de juillet 2018, alors qu’il estime ne jamais avoir consenti à un contrat chez ce fournisseur. Il prend alors contact avec le service client de Lampiris, par téléphone, pour contester la facture et exiger que ses compteurs soient redirigés vers son fournisseur Engie. Il a cru, de bonne foi mais erronément, que Lampiris s’était exécuté2, ne recevant plus de factures de ce dernier (et ce, suite à une mauvaise transcription de l’adresse du consommateur par le fournisseur).

Après quelques temps, en avril 2019, le consommateur reçoit de Lampiris une citation en justice réclamant :

  • la condamnation du consommateur au paiement de la somme de 704,38 € à majorer des intérêts légaux, au titre de consommations impayées depuis la période du mois de juillet 2018 jusqu’à la résolution du contrat ;
  • la condamnation du consommateur au paiement de la somme de 190,52€ au titre des frais et dépens, ainsi que l’indemnité de procédure de 240 € ;
  • la résolution du contrat de fourniture.

Le consommateur s’est défendu devant le Juge en expliquant avoir fait l’objet d’un démarchage abusif. Il a donc demandé d’être rétabli dans sa relation contractuelle d’origine avec Engie, et d’annuler les factures exigées en terme de consommation et de tous les frais y afférents.

L’argumentation juridique développée, à titre d’inspiration ?

Le Juge de Paix a pu observer que le fournisseur en cause n’avait pas respecté les règles de conclusion d’un contrat hors établissement prévues par l’Accord « Le Consommateur dans le marché libéralisé de l’électricité et du gaz », accord que Lampiris a signé et reprenant quelques règles du Code de droit économique3.

En préambule de l’accord, on peut lire que :

« (…) Les fournisseurs d’énergie qui font appel à des tiers pour la vente de leurs produits veillent à intégrer dans leurs contrats avec ces tiers des dispositions aux termes desquelles ces derniers s’engagent contractuellement à respecter les règles reprises dans le présent accord.
Les infractions aux dispositions du présent accord constituent des pratiques commerciales déloyales au sens de l’article VI.100 CDE (…) »

L’Accord prévoit aussi (au point 1.1) , entre autres obligations, que :

« Les fournisseurs et les agents commerciaux n’abusent pas de la faiblesse du consommateur. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’existe pas de contrats offerts ou conclus avec des consommateurs qui ne sont manifestement pas en mesure d’évaluer la portée du contrat proposé. Ils agissent de manière particulièrement réservée envers des personnes âgées, des personnes handicapées et de personnes défavorisées ».

Plus loin (au point 1.3), l’Accord précise que le démarcheur doit, avant toute chose, présenter sa carte, identifiant clairement le fournisseur pour lequel il intervient, ainsi que son identité. Ce même point 1.3. stipule par ailleurs qu’en cas de vente « hors établissement », « Le vendeur remet au consommateur en toutes circonstances les documents suivants :

1) un exemplaire du contrat avec les conditions générales et particulières, rempli de façon détaillée et lisible par le vendeur, avec la mention claire du droit de rétractation dans un délai de 14 jours calendrier après la réception de la confirmation par le fournisseur d’énergie du contrat ;
2) un aperçu du prix tel qu’il est applicable au contrat de fourniture conclu à ce moment, et si le prix est soumis à révision, la formule d’indexation et les paramètres les plus récents ;
3) les données de contact en cas de plainte du consommateur.
Les vendeurs mentionnent que le fournisseur doit confirmer le contrat par écrit au moyen d’une lettre adressée personnellement au consommateur.
Par la suite, le fournisseur d’énergie confirme le contrat par une lettre adressée personnellement au consommateur ou, en cas d’accord préalable et exprès de celui-ci, sur un autre support durable ».

Dans le cas concret ayant donné lieu à ce jugement, il apparait que le fournisseur n’apporte pas la preuve que ces obligations ont été respectées. Or, les sanctions attachées au non-respect de cette disposition sont prévues au point 1.4. de l’Accord:

« 1.4. Sanctions

Sans préjudice des sanctions prévues dans les différents lois et arrêtés d’exécution et de toutes les autres formes de dédommagement, toute infraction aux dispositions du présent accord, à constater par l’Inspection économique en rapport avec les contrats conclus hors établissement et par téléphone, donne lieu:
–  au remboursement immédiat au consommateur de toutes les factures qu’il a payées;
– au rétablissement immédiat du consommateur dans son ancienne relation contractuelle. L’ancien fournisseur d’énergie reprend le consommateur gratuitement, aussi rapidement que les possibilités techniques le permettent.
Les sanctions civiles ci-avant mentionnées sont applicables, que l’infraction ait été commise par le fournisseur d’énergie même ou par un vendeur tiers qui agit en son nom.»

Le juge conclut donc qu’aucune somme ne peut être exigée au défendeur-consommateur à titre de consommation, puisque même si ce dernier avait payé par erreur, ces sommes lui auraient été remboursées. Par ailleurs, le consommateur en cause est en droit d’exiger d’être immédiatement replacé dans sa relation contractuelle réelle (avec Engie).

En conclusion

Bien que toujours autorisé actuellement, le démarchage reste néanmoins soumis à certaines règles issues du Code de droit Économique, telles que reprises dans l’Accord sectoriel pour le consommateur.

Les abus et illégalités demeurent toutefois très nombreux4. Dans ce jugement commenté, le Juge de Paix déclare qu’ « il est de notoriété publique que les démarchages à domicile pour la conclusion de contrats de livraison d’énergie est une source fréquente de malentendus et de confusions dans le chef de clients potentiels ».

Depuis 2014, le Service de Médiation de l’Energie constate une augmentation du nombre de plaintes relatives à ces techniques de vente car, dans ce marché de l’énergie où la concurrence se fait de plus en plus rude, certains fournisseurs utilisent encore plus activement et parfois plus agressivement le démarchage à domicile et, en général, les ventes hors établissement5. Concrètement, le nombre total de plaintes à propos des techniques de vente est passé de 178 en 2014 à 804 en 20196.

Ainsi, dans son Memorandum publié le 31 décembre 2019, le Service de Médiation de l’Energie promeut désormais l’interdiction de toute vente en porte-à-porte et de la vente sur la voie publique ou privée7.

Pour plus d’informations concernant le démarchage à domicile ou pour commander notre outil de sensibilisation, consultez cette page.

[1] Jugement du 18 novembre 2019. RG n° 19/A1186/2, décision inédite. Pour la consulter :  lien vers la décision en pdf.
[2] En effet, en pratique, lorsqu’un consommateur est dévié de son fournisseur originel à la faveur d’un démarchage déloyal, ou d’une simple erreur d’attribution des compteurs, ce qui est très fréquent, le fournisseur informé de la situation doit libérer le point de fourniture dans les meilleurs délais en lançant un message spécifique -« un Mystery Switch »- demandant à Sibelga (gestionnaire de réseau) ainsi qu’au fournisseur initial de reprendre le point de fourniture. Ces règles de communications entre fournisseurs et Sibelga sont régies par le (U)MIG. Le (U)MIG, ou (Utility) Market Implementation Guide, est un recueil de documents regroupant les processus, les accords de marché et les informations échangées, sur la base duquel les différents acteurs du marché de l’énergie doivent communiquer entre eux.
[3] Dont le Livre IV du Code de droit économique, relatif aux ventes à distance. Pour consulter l’accord : https://economie.fgov.be/sites/default/files/Files/Energy/accord-electricity-fr.pdf Pour une analyse de cet accord, voyez notamment : https://www.socialenergie.be/wp-content/uploads/A4_Accord_consommateur_marche_liberalise_elec_gaz_1_janv_2014_FR.pdf; https://www.socialenergie.be/accord-le-consommateur-dans-le-marche-libre-de-lelectricite-et-du-gaz/.
[4] Voir notamment la campagne « stop au démarchage » : https://www.socialenergie.be/energie-stop-au-demarchage-2/ .
[5] Les ventes par téléphone et les autres méthodes de vente à distance, parfois par l’intermédiaire de bureaux de vente et d’agents commerciaux, ont également le vent en poupe.
[6]https://www.mediateurenergie.be/sites/default/files/content/download/files/avis_19_013_du_31_decembre_2019_memorandum.pdf, pp. 7 et s.
[7]https://www.mediateurenergie.be/sites/default/files/content/download/files/avis_19_013_du_31_decembre_2019_memorandum.pdf