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Indemnité pour trouble de jouissance accordée suite à un dysfonctionnement de chauffage et d’eau chaude

Publié le: 11/03/2024 - Mis à jour le : 11/03/2024

Bail à loyer auprès d’un bailleur privé – Dysfonctionnement d’une chaudière et absence d’accès à l’eau chaude et au chauffage – Trouble de jouissance important – Indemnité pour trouble de jouissance fixée à 20 % du loyer jusqu’à la réparation du trouble

Justice de paix du canton de Molenbeek-Saint-Jean, jugement du 14 juillet 2023, N°R.G. 23A899

Alors que les locataires sont cités devant le juge de paix par leur bailleur qui réclame leur expulsion, ceux-ci dénoncent le fait que, rapidement après l’entrée dans les lieux, ils ont eu à se plaindre de problèmes de dysfonctionnements structurels de chauffage et d’alimentation en eau chaude.

A l’aide d’une asbl qui connaissait bien la situation, ils ont écrit au propriétaire en vue de l’enjoindre à exécuter les travaux nécessaires, notamment en remplaçant la chaudière. Ce courrier n’a connu aucune suite. Durant toute la durée du bail, le bailleur réagissait sporadiquement aux interpellations des preneurs, en faisant des réparations sommaires mais la plus grande partie du temps, le système de chauffage et d’eau chaude était dysfonctionnel.

Rappelons ici les normes applicables

Tout d’abord, plusieurs textes internationaux mentionnent explicitement l’existence d’un chauffage comme faisant intégralement partie du droit au logement. Ainsi, le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée Générale des Nations Unie dispose en son article 11, §1 :

« Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les États parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie »

La portée de cet article a été précisée dans « l’observation générale n°4 : Le droit à un logement suffisant » adopté par l’Assemblée Générale des Nations-Unies en 1991 :

« Le Comité est d’avis qu’il ne faut pas entendre le droit au logement dans un sens étroit ou restreint, qui l’égale, par exemple à l’abri fourni en ayant simplement un toit au- dessus de sa tête, ou qui le prend exclusivement comme un bien. Il convient au contraire de l’interpréter comme le droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité. (…)

Ainsi, l’adéquation aux besoins est une notion particulièrement importante en matière de droit au logement car elle met en évidence un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si telle ou telle forme de logement peut être considérée comme un « logement suffisant » aux fins du Pacte. Il s’agit en partie de facteurs sociaux, économiques, culturels, climatiques, écologiques et autres, mais le Comité est d’avis qu’en tout état de cause, on peut identifier certains aspects du droit qui doivent être pris en considération à cette fin dans n’importe quel contexte. Ce sont notamment :

(…)

  1. b) L’existence de services, matériaux, équipements et infrastructures. Un logement convenable doit comprendre certains équipements essentiels à la santé, à la sécurité, au confort et à la nutrition. Tous les bénéficiaires du droit à un logement convenable doivent avoir un accès permanent à des ressources naturelles et communes : de l’eau potable, de l’énergie pour cuisiner, le chauffage et l’éclairage, des installations sanitaires et de lavage, des moyens de conservation des denrées alimentaires, d’un système d’évacuation des déchets, de drainage, et des services d’urgence »

En outre, dans la Charte Sociale Européenne révisée de 1996, le droit au logement est consacré à l’article 31 :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au logement, les Parties s’engagent à prendre des mesures destinées :

  1. à favoriser l’accès au logement d’un niveau suffisant ;
  2. à prévenir et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive ;
  3. à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes »

Dans des conclusions du 30 juin 2003, le Comité Européen des droits sociaux a inclus le chauffage dans la définition d’un logement salubre :

« Le Comité estime qu’aux fins de l’article 31§1, les Parties doivent définir en droit la notion de logement d’un niveau suffisant. Le Comité entend par « logement d’un niveau suffisant » un logement salubre, présentant des structures saines, non surpeuplé et assorti d’une garantie légale de maintien dans les lieux. Cette définition appelle les précisions suivantes :

–       un logement est salubre s’il dispose de tous les éléments de confort essentiels (eau, chauffage, évacuation des ordures ménagères, installations sanitaires, électricité, etc.) ; et si certains facteurs de risque, tels que le plomb ou l’amiante sont sous contrôle ;

–       un logement surpeuplé est un logement dont la taille n’est pas adaptée au nombre de membres et à la composition du ménage qui y réside ;

–       la garantie de maintien dans les lieux implique la protection contre l’expulsion et autres formes de menaces ; elle sera analysée dans le cadre de l’article 31§2 »[1].

L’importance du chauffage comme composante essentielle d’un logement salubre et décent a été réitérée dans une décision du 12 mai 2017 en ces termes :

« La fourniture de logements aux familles doit tenir compte de leurs besoins et garantir que les logements existants soient adéquats et incluent les services essentiels (comme le chauffage et l’électricité).

Tous devraient avoir un accès durable à des ressources naturelles et communes, à l’eau potable, à l’énergie pour la cuisine, au chauffage et à l’éclairage, aux installations sanitaires, aux moyens de stockage de nourriture, à des moyens d’évacuation et à des services d’urgence »[2].

Dans l’ordre juridique national, tant les normes fédérales que régionales donnent des indications quant aux obligations en matière d’appareils de chauffe.

L’article 1719 du Code civil prévoit ce qui suit :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :          

1° De délivrer au preneur la chose louée ;

2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;

3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. »

L’article 219 du Code bruxellois du logement prévoit notamment ce qui suit :

« § 1er. Le bailleur est tenu de délivrer le bien loué en bon état de réparations de toute espèce.

  • 2. Le bien loué doit répondre aux exigences élémentaires de sécurité, de salubrité et d’équipement des logements visées à l’article 4 ou arrêtées en exécution de cette disposition sous peine des sanctions prévues aux articles 8 et 10. Cette condition

s’apprécie à tout moment.(…) »

Il y a donc, d’une part, une obligation de délivrer les lieux loués en bon état et, d’autre part, de les maintenir en permanence dans un état conforme aux exigences élémentaires de sécurité et de salubrité. En d’autres termes, « La conformité d’un logement aux exigences de sécurité, de salubrité et d’équipement doit être réalisée dès le début du bail et doit persister tout au long de la location. » (B. LOUVEAUX, Droit du bail – Bail d’habitation en Région de Bruxelles- Capitale, Larcier, Bruxelles, 2018, p.475).

En matière de sécurité, de salubrité et d’équipement, l’article 4 du Code bruxellois du logement prévoit ce qui suit :

« Les logements doivent respecter les exigences suivantes :

1° l’exigence de sécurité élémentaire, qui comprend des normes minimales relatives à la stabilité du bâtiment, l’électricité, le gaz et le chauffage ;

2° l’exigence de salubrité élémentaire, qui comprend des normes minimales relatives à l’humidité, à la toxicité des matériaux, aux parasites, à l’éclairage, à la ventilation, aux égouts, ainsi qu’à la configuration du logement, quant à sa surface minimale, la hauteur de ses pièces et l’accès du logement ;

3° l’exigence d’équipement élémentaire, qui comprend des normes minimales relatives à l’eau froide, l’eau chaude, les installations sanitaires, l’installation électrique, le chauffage, ainsi que le pré-équipement requis permettant l’installation d’équipements de cuisson des aliments (…) »

A cet égard, la doctrine la plus avisée indique ce qui suit :

« En ce qui concerne l’exigence de sécurité portant sur l’électricité du logement, les installations électriques de l’immeuble doivent permettre d’habiter en sécurité dans le logement, de circuler dans les mêmes conditions de sécurité dans les communs et les abords, et ne présenter aucun risque dans l’hypothèse d’un usage adapté aux installations (…)

En ce qui concerne l’exigence de sécurité portant sur le gaz, les installations de distributions de gaz de l’immeuble, ainsi que les appareils qui y sont raccordés doivent permettre d’habiter en sécurité dans le logement, de circuler dans les mêmes conditions de sécurité dans les communs et les abords, et ne présenter aucun risque dans l’hypothèse d’un usage normal par le locataire (…)

En ce qui concerne l’exigence de sécurité portant soit sur le pré-équipement permettant l’installation de chauffage soit sur l’installation de chauffage proprement dite, les installations doivent être conformes aux normes en vigueur et être maintenues en bon état d’entretien, de manière à garantir un fonctionnement sûr (…) »[3]

En matière de réparations et d’entretien, l’article 223 du Code bruxellois du logement prévoit ce qui suit :

« § 1er. Le preneur est tenu des réparations locatives, à l’exception de celles qui sont occasionnées par la vétusté ou la force majeure, et des travaux de menu entretien.
Les réparations locatives et de menu entretien sont celles désignées comme telles par l’usage des lieux.
§ 2. Le bailleur est tenu de toutes les autres réparations qui peuvent devenir nécessaires. »

La liste non limitative des réparations, travaux et entretiens incombant impérativement au preneur ou au bailleur a été publiée au moniteur belge en date du 8 décembre 2017.
Elle prévoit ce qui suit :

« En matière de baux d’habitation, sont à charge du propriétaire/bailleur :

              Les grosses réparations : les réparations de gros entretien (…), l’obligation d’entretenir   l’immeuble en bon état (…), les réparations consécutives à (…) la vétusté (…). »

La liste non limitative des réparations, travaux et entretiens incombant impérativement au preneur ou au bailleur a été publiée au moniteur belge en date du 8 décembre 2017[4]. Elle prévoit en ses annexes 3 et 4 les travaux spécifiques en matière d’installation de gaz et d’électricité qui sont à charge du bailleur.

Il ressort qu’en matière de chauffage, le bailleur doit prendre en charge le remplacement du matériel suivant : « Conduit évacuation gaz de combustion », « accessoires de chaudières », « convecteurs », « vannes de distributions », « tuyauteries diverses », …

Par ailleurs, l’article 224, §2 du Code Bruxellois du Logement prévoit qu’un loyer est considéré comme abusif lorsqu’il « n’excède pas de vingt pour cent son loyer de référence mais qu’il accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement ».

Dans les travaux parlementaires, il est précisé que « la notion de défauts de qualité substantiels intrinsèques ne relevant pas des normes minimales de sécurité, de salubrité ou d’équipement peuvent en effet justifier des minorations de loyer. Ces caractéristiques peuvent notamment être à titre d’exemple l’absence de compteur électrique individuel, l’absence de compteur d’eau individuel, l’absence de pièce privative réservée au sanitaire, une simple salle de douche exiguë (au lieu d’une salle de bain), l’absence d’un appareil de chauffage dans une pièce, l’absence d’équipements de cuisine, d’ascenseur ou encore l’absence de parlophone (si le bien est situé à l’étage) »[5].

Enfin, un jugement du 25.05.2012 prononcé par le juge de paix de Grâce-Hollogne a confirmé que l’obligation pour le bailleur de faire jouir paisiblement le preneur était une obligation de résultat et que sa contrevenance justifiait le paiement d’une indemnité :

« par son fait personnel et dépourvu de justification sérieuse, le bailleur a manqué à l’obligation de résultat essentielle de faire jouir paisiblement le preneur, pendant la durée du bail (article 1719, 3°, du code civil). Laissée sans chauffage ni eau chaude avec une très jeune enfant par des températures qui en mars passé voisinaient souvent zéro degré, madame B. a subi un trouble de jouissance important et son droit de se loger dans des conditions dignes a été lésé. En réparation de ses préjudices, il est adéquat de fixer à 850 euros l’indemnité qui lui est personnelle »[6].

Dans le cas d’espèce, ayant mené au jugement du 14 juillet 2023, les locataires ont évalué leur trouble de jouissance à 20 % du prix du loyer indexé.

Le juge a considéré que le dysfonctionnement d’une chaudière et l’absence d’accès à l’eau chaude et au chauffage constituent un trouble de jouissance important et qu’il y avait dès lors lieu de faire droit à la demande des locataires.

Partant, l’indemnité pour trouble de jouissance est fixée à 20% du loyer jusqu’à la réparation du trouble.

Une indemnité de 8.658,12 euros est due pour la période du 12 janvier 2020 au 30 avril 2023.

Pour l’avenir, l’indemnité d’occupation est fixée à 913,21 euros, ce qui correspond à 80% du loyer tel que fixé dans le contrat de bail.

 

 

[1] CEDS, Conclusions du 30 juin 2003, à consulter en suivant le lien https://hudoc.esc.coe.int/fre/?i=2003/def/FRA/31/1/FR

[2] CEDS, Fédération Internationale des Droits de l’Homme c. Irlande, réclamation 110/2014, 12 mai 2017, à consulter en suivant le lien https://hudoc.esc.coe.int/fre/?i=cc-110-2014-dmerits-fr

[3] B. Louveaux, op.cit., pp.476-477

[4] https://www.socialenergie.be/wp-content/uploads/Pages-FR-de-Pages-152-178-de-AGRBC-23-11-2017-MB-08-12-2017-travaux-%C3%A0-charge-loc-prop-1.pdf

[5] Proposition d’ordonnance visant à instaurer une commission paritaire locative et à lutter contre les loyers abusifs, Doc. Parl., Parl. Rég.Brux.-Cap., 2020-2021, A-330/1, p.10.

[6] J.P. Grâce-Hollogne, 25 mai 2012, J.L.M.B., 2012/40, p. 1917