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La sortie du statut de client protégé : une décision récente du Service des Litiges de Brugel qui pose question

Publié le: 21/09/2022

Dans cette décision récente (référence : R2021-078), le Service des Litiges de Brugel clarifie son interprétation des conditions tarifaires qui peuvent être appliquées par le fournisseur lorsque le statut de client protégé prend fin, ainsi que les modalités de communication avec les clients dans cette situation.

Madame conclut des contrats de fourniture de gaz et d’électricité de 3 ans et à prix fixe. Deux ans plus tard, Madame obtient le statut de client protégé pour l’électricité et le gaz. Son contrat est suspendu, elle apure ses dettes et perd ainsi le statut de client protégé au bout de un an et demi.

Quelques jours avant la perte de ce statut, Madame reçoit de son fournisseur commercial un document qui explique que ses contrats d’énergie vont reprendre. Les conditions tarifaires en annexe clarifient qu’il s’agit de nouveaux contrats de trois ans avec des conditions tarifaires adaptées à la hausse.

Par l’intermédiaire de son CPAS, Madame dépose une plainte auprès du Service des Litiges arguant que les contrats initiaux ne sont pas terminés et qu’il n’y a donc pas de raison légale de les rompre et d’en conclure de nouveaux. En effet, il restait respectivement 94 et 354 jours aux contrats d’électricité et de gaz de la plaignante avant qu’ils soient suspendus.

Le Service des Litiges rappelle que, selon les ordonnances électricité et gaz, dès qu’il a remboursé la totalité de sa dette en respectant le plan d’apurement, le ménage n’est plus reconnu comme client protégé et la suspension du contrat conclu avec le fournisseur commercial prend fin.

Pour le Service des Litiges, il ne peut être déduit du texte de cette disposition que la fourniture doive reprendre aux mêmes conditions qu’initialement prévues. Dès lors, il serait possible pour un fournisseur de modifier les conditions du contrat proposé après la fin de la suspension de celui-ci.

Il considère donc qu’« il s’agit de tenir compte de la charge qu’engendrerait, pour les fournisseurs, une obligation de reprendre les contrats aux mêmes conditions qu’avant sa suspension. En effet, certains clients bénéficient du statut de client protégé pour une très longue période. Il en résulte qu’il n’est pas toujours possible pour le fournisseur de proposer un de ses anciens tarifs, tant le marché de l’énergie évolue, en particulier ces derniers temps ».

Le Service des Litiges évoque aussi la disposition des ordonnances électricité et gaz selon laquelle un fournisseur peut modifier les termes et conditions de ses contrats pour autant qu’il respecte une série de conditions légales. Ainsi, toute modification du prix non-contractuelle doit également être portée à la connaissance des clients en temps utile, et en tout cas avant la fin de la période de facturation normale suivant l’entrée en vigueur de l’augmentation. Les clients sont libres de dénoncer le contrat s’ils n’en acceptent pas les nouvelles conditions.

Dans le cas d’espèce, le Service des Litiges considère que cette disposition a été respectée. Quant à la circonstance que ce sont des nouveaux contrats de trois ans qui ont été adressés à la plaignante, le Service note qu’il s’agit de la liberté commerciale du fournisseur de proposer des contrats à des clients potentiels.

Le Service relève néanmoins les problèmes de communication du fournisseur dans le traitement de ce dossier : « il s’agirait en effet d’être plus clair sur les choix dont disposent les clients qui perdent le statut de client protégé. En l’espèce, [le fournisseur] aurait dû indiquer à la plaignante que si elle refusait l’offre de nouveaux contrats, les contrats initiaux seraient réactivés, bien qu’à un tarif actualisé ».

La plainte de Madame est déclarée recevable mais non fondée.

Nous regrettons cette décision du Service des Litiges car elle se fonde, à notre avis, sur une interprétation erronée de la législation en vigueur, et ce notamment pour deux raisons principales :

Les conditions contractuelles à appliquer lors de la sortie du statut de client protégé

Rappelons que, même si les ordonnances ne mentionnent effectivement pas que la fourniture doive se faire aux conditions initiales une fois le statut de client protégé terminé, elles ne prévoient pas non plus que la fourniture doive se faire aux conditions existantes dans le marché au moment de la perte de ce statut.

Pourtant, le législateur aurait pu préciser les modalités de cette sortie dans ce sens lors de la récente réforme des ordonnances électricité et gaz, comme l’a fait le législateur fédéral pour les cas où un bénéficiaire du tarif social perd le droit à ce tarif (voir loi du 28 février 2022 portant des dispositions diverses en matière d’énergie). A défaut de modification législative, c’est le maintien du prix initialement fixé dans le contrat suspendu avec le fournisseur commercial qui doit prévaloir, et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, la note (Z)2265 de la CREG portant « sur la résiliation, la reconduction et le renouvellement des contrats de fourniture d’énergie : points d’attention en fonction de la durée déterminée ou indéterminée du contrat », ainsi que le site web du SPF Economie, considèrent que « pour un contrat à durée déterminée (CDD), le prix fixe (s’il s’agit d’un produit à prix fixe) ou la formule d’indexation des prix (s’il s’agit d’un contrat à prix variable) est applicable pendant toute la durée du contrat et ne peut pas être modifié par le fournisseur avant l’échéance du contrat ».

Deuxièmement, l’étude 07-2014010 de Brugel « relative à la suspension du contrat de fourniture pendant la période de protection sociale, ses effets et les droits et devoirs des parties à ce contrat » conclut qu’ « en vertu du principe de bonne foi et parce que des nouvelles dispositions protectrices du consommateur sont entrées en vigueur, le contrat de fourniture doit être adapté afin de garder son utilité. Le fournisseur devra adapter le prix ainsi que les conditions générales ».

Cette conclusion se base sur le fait que « le principe d’exécution de bonne foi des conventions, consacré à l’article 1134 du Code civil, interdit à une partie à un contrat d’abuser des droits que lui confère celui-ci », que « la fonction modératrice de la bonne foi permet donc de remédier à certains cas de bouleversement de l’économie contractuelle » et que « la doctrine considère, en outre, qu’ « en refusant de renégocier les termes du contrat profondément bouleversé, le créancier commet un abus de droit » » (p. 15).

Dans le cas d’espèce, il ne ressort pas que Madame cherche à abuser de son droit : elle demande simplement que les conditions initialement accordées lui soient appliquées encore pendant la durée restante du contrat : 354 jours pour son contrat de gaz et 94 jours pour son contrat d’électricité.

Il n’y a ici, pour reprendre les termes de l’étude précitée, aucun « bouleversement de l’économie du contrat de fourniture du fournisseur commercial » justifiant une conclusion contraire au principe du maintien des éléments essentiels du contrat conclu, vu que nous sommes toujours dans le cadre d’un contrat à durée déterminée.

Troisièmement, rappelons que le statut de client protégé entraîne aussi une certaine protection pour le fournisseur commercial, qui arrête temporairement de fournir un client avec une dette ouverte auprès de lui. Le fournisseur tire ainsi un bénéfice du fait que cette dette sera remboursée dans les meilleures conditions, vu que le client sera entre-temps fourni par le fournisseur de dernier ressort à un tarif préférentiel et que le remboursement du plan de paiement demeure une condition pour le maintien du statut de client protégé pendant toute la durée de celui-ci.

Ce point est par ailleurs explicitement repris dans l’exposé des motifs du projet d’ordonnance modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et l’ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires : « Pour le fournisseur : le risque financier sera considérablement réduit dans la mesure où le fournisseur ne doit plus livrer un client en défaut de paiement reconnu comme client protégé. Du point de vue administratif, la charge sera également sensiblement réduite. Comme l’endettement sera réduit, la probabilité de récupérer la dette sera augmentée ».

Le nombre de clients protégés étant, au mois d’août 2022 et selon les statistiques de Brugel, d’environ 2.300 pour l’électricité et d’environ 1.800 pour le gaz, il ne peut pas être soutenu, comme le fait cette décision, qu’ « il n’est dès lors pas toujours envisageable pour un fournisseur d’offrir le même tarif à un client qu’il reprend après que celui-ci a bénéficié d’un statut de client protégé pour une durée qui peut être très longue », notamment lorsqu’on prend en considération le gain économique pour le fournisseur en termes de réduction de l’endettement et de la charge administrative.

A nouveau, il n’y a ici aucun bouleversement de l’économie du contrat de fourniture du fournisseur commercial qui justifierait une dérogation au principe général selon lequel un fournisseur ne peut pas unilatéralement modifier le prix dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, à défaut d’une disposition spécifique a contrario adoptée par le législateur bruxellois.

Le manque de respect des obligations légales d’information et de communication par le fournisseur

La décision du Service des Litiges estime que le fournisseur a bien respecté les prescriptions des ordonnances électricité et gaz, tout en reconnaissant les problèmes de communication dans le traitement de ce dossier. Malgré cette affirmation, la plainte introduite par Madame est déclarée non fondée. Or, cette situation révèle une claire violation des prescriptions des ordonnances par le fournisseur, et cela selon la propre jurisprudence du Service des Litiges.

Ainsi, dans le Guide d’interprétation des obligations de service public à charge des fournisseurs en Région de Bruxelles-Capitale publiée par Brugel,  il est stipulé que « la communication relative [à toute modification du prix non-contractuelle] devrait être proactive : le fournisseur ne peut se contenter d’une mention sur une facture, mais doit attirer l’attention de son client sur la modification en cause et sur son droit de dénoncer le contrat. Le client doit idéalement donner son accord exprès à la modification contractuelle pour que la relation puisse se poursuivre » (p. 11).

Cette condition n’est pas remplie dans le cas de Madame. Quatre jours avant la fin de son statut de client protégé, elle a reçu un document contenant comme seule explication la mention suivante : « Nous nous chargerons donc à nouveau de vous fournir de l’électricité et du gaz à partir du 23/04/2021. Vos contrats d’énergie reprendront donc à compter de cette date ». Vu la réception de ce document juste avant la fin de la suspension de son contrat, Madame a compris de bonne foi que ce courrier contenait des informations relatives à l’ancien contrat qui reprenait son cours, et elle n’aurait pas pu raisonnablement savoir que le fournisseur était plutôt en train de lui proposer un nouveau contrat.

La jurisprudence du Service des Litiges indique par ailleurs clairement que « les fournisseurs ont l’obligation d’informer correctement leurs clients de manière à ce qu’ils soient avertis en temps utile de toute intention de leur fournisseur de modifier les termes et conditions de leurs contrats. Cette information doit être communiquée de manière transparente et compréhensible » (voir, par exemple, décision R2022-101). Il n’y avait, par contre, dans la communication du fournisseur aucune indication explicite ni claire sur le fait qu’il s’agissait d’une proposition de nouveau contrat.

Par ailleurs, la décision reproduit à tort l’argument du fournisseur selon lequel « si la plaignante n’était pas passée au statut de client protégé, son tarif aurait également pu évoluer. Ainsi, son tarif aurait été modifié en février 2020 pour l’électricité et en octobre 2020 pour le gaz suite à une reconduction tacite, tel que prévu dans les contrats du 5 novembre 2017. Par conséquent, le Service considère [que le fournisseur] était en droit d’adapter ses tarifs suite au retour de la plaignante parmi ses clients ».

Cet argument finaliste et contrefactuel ne peut pas être soutenu : cette situation purement hypothétique n’empêche pas la violation par le fournisseur — elle, bien réelle et factuelle — de son obligation de communiquer clairement et explicitement à Madame qu’il s’agissait d’une proposition de nouveau contrat de fourniture.

Rappelons dernièrement, pour compléter les arguments que nous défendons ici, les règles en vigueur dans l’Accord « Le consommateur dans le marché libre de l’électricité et du gaz » (article 2.3.4), pourtant signé par le fournisseur, qui montrent à quel point sa démarche dans le cas d’espèce contrevient aux dispositions contenues dans celui-ci :

Si le contrat prévoit la reconduction tacite, les fournisseurs d’énergie informent leurs clients par écrit ou sur support durable de la reconduction tacite et de la possibilité de résiliation du contrat. Cette notification au consommateur se fait clairement et sans équivoque, au moins 1 mois avant la date fixée dans le contrat pour s’opposer à la reconduction tacite. (…)

Un fournisseur d’énergie ne souhaitant pas procéder à une reconduction tacite soumet une nouvelle proposition de contrat de fourniture au consommateur au moins deux mois avant la date de la fin du contrat en cours. Cette nouvelle proposition est notifiée au consommateur via le même moyen par lequel la communication avec le consommateur se fait habituellement lorsqu’il s’agit du contrat en cours. Il doit clairement apparaître de cette proposition qu’il s’agit d’une nouvelle proposition de contrat. De plus, elle explique, de manière claire, non équivoque et spécifique, sur quels points les nouvelles conditions proposées diffèrent du contrat en cours.