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Droit à l’eau : des avancées majeures entrées en vigueur au 1er janvier 2022

Publié le: 27/01/2022 - Mis à jour le : 03/02/2022

Précarité hydrique préoccupante en RBC et l’accès à l’eau consacré comme droit fondamental

D’après la Fondation Roi Baudouin, un ménage bruxellois sur quatre est confronté à la précarité hydrique. En conséquence et mesurant l’urgence, le Parlement de la Région Bruxelloise adoptait, dès avril 2019, une résolution prônant, notamment, l’interdiction des coupures d’eau[1].
En novembre 2019, le Gouvernement bruxellois rejoignait la Communauté bleue (Blue Community), s’engageant ainsi à défendre le principe de l’accès à l’eau potable comme droit humain fondamental. Dans la foulée, le Ministre de l’Environnement mit en place, dès le début de la législature et en conformité avec l’accord de Gouvernement, un groupe de travail « précarité hydrique »[2] destiné à examiner les politiques et actions concrètes à adopter pour renforcer l’accès à l’eau pour tous en RBC.

Résultat des travaux : le 24 décembre 2021 est promulguée une ordonnance introduisant des réformes significatives en soutien aux usagers de l’eau vulnérables[3], entrées en vigueur le 1er janvier 2022. Certains aspects de cette réforme doivent, toutefois, encore être opérationnalisés via un arrêté du Gouvernement, actuellement en chantier[4]. Nous y reviendrons ultérieurement.

Parallèlement à ces travaux législatifs, nous attirons l’attention des travailleurs de première ligne sur le fait que Vivaqua a adopté, fin 2021, de nouvelles conditions générales très étoffées[5]. Il faudra désormais également consulter ce texte dans le cadre des relations de l’abonné et/ou de l’usager avec Vivaqua.

Le Centre d’Appui SocialEnergie organisera prochainement des formations, notamment en ligne, pour exposer le contenu de ce nouveau « régime de l’eau ».

Les mesures phares de la réforme législative

Les principales mesures sociales inscrites dans l’ordonnance du 24 décembre 2021 (réformant donc les ordonnances « eau » de 1994 et 2006) sont les suivantes :

1) L’interdiction, dans le chef de l’opérateur, de couper l’eau aux usagers domestiques pour des motifs liés à un défaut de paiement.

L’interdiction de coupure est désormais formulée de la manière suivante : « L’interruption de la distribution d’eau à des fins domestiques est interdite, sauf dans les cas arrêtés par le Gouvernement dont notamment lorsqu’il existe des motifs impérieux de santé publique, des motifs de sécurité ou de gestion du réseau public de distribution d’eau potable, un cas de force majeure ou une décision de justice justifiant cette interruption. Le Gouvernement arrête les conditions, les modalités d’accompagnement et la date d’entrée en vigueur de cette interdiction »[6].

Le projet d’arrêté du Gouvernement de la Région bruxelloise (dont le texte n’est toutefois pas encore stabilisé ni – a fortiori – publié) identifie 9 cas où une interruption de fourniture d’eau pourra encore avoir lieu pour des usagers domestiques. Les cas de force majeure et de bâtiments inoccupés figurent notamment parmi ces possibilités. Il ne s’agit, en revanche, nullement d’hypothèses où un usager se verrait sanctionner pour défaut de paiement. Dès adoption de l’arrêté, le CASE fournira une information définitive à ce sujet.

2) L’octroi d’une intervention sociale annuelle dans le prix de l’eau à tout ménage ayant le statut « BIM » (« Bénéficiaire de l’Intervention Majorée ») – soit environ 25 % des ménages bruxellois – à la date du 1er janvier de l’année concernée[7]. Cette intervention sociale sera pleinement opérationnelle en 2022, année d’entrée en vigueur des nouveaux tarifs Vivaqua, et sera octroyée ensuite sur base annuelle. Cela signifie concrètement que les ménages n’accédant au statut BIM qu’en cours d’année ne bénéficieront de l’intervention sociale que pour l’année suivante. Par contre, s’ils perdent ce statut en début d’année, ils en conservent le droit pour l’année entière.

Cette intervention sociale s’inscrit en réponse à un contexte préoccupant d’augmentation du prix de l’eau de 15 % dès le 1er janvier 2022[8] ; cette croissance étant la conséquence de la nécessité pour Vivaqua de mettre fin au gel du prix de l’eau, afin de garantir un réinvestissement indispensable dans son réseau, tout en préservant sa stabilité financière.

Introduire une intervention sociale pour le public précarisé BIM est, par ailleurs, devenu d’autant plus essentiel aujourd’hui que la part des revenus des ménages consacrée aux frais d’électricité, de gaz et d’eau n’a cessé d’augmenter ces derniers mois.

Concrètement, l’ordonnance prévoit d’octroyer l’intervention sociale aux ménages ayant le statut « BIM » selon les modalités suivantes[9] :

  • soit via une déduction automatique sur leur facture, s’ils sont clients directs de Vivaqua (compteurs individuels avec consommation propre connue),
  • soit via un paiement direct par l’opérateur de l’eau, si leur consommation réelle n’est pas connue car comptabilisée par un compteur collectif. Le paiement direct pourra s’opérer à condition que l’usager concerné ait rempli un formulaire annuel à cet effet.

Il suffit qu’une seule personne composant le ménage soit sous statut BIM au 1er janvier d’une année pour que toute la facture du ménage bénéficie de l’intervention sociale pour cette période.

Quant au montant de l’intervention sociale, l’ordonnance prévoit que : « L’intervention sociale consiste en un montant calculé sur base d’une part fixe par ménage et d’une part variable dépendante du nombre de personnes composant ledit ménage tel que renseigné au Registre national au 1er janvier de l’année concernée (…). Après avis de Brugel, le Gouvernement arrête les montants et les modalités de calcul, de versement et de financement de cette intervention sociale. (…)»[10].

Sur la base des nouveaux tarifs (récemment approuvés par Brugel, le régulateur régional[11]) et au regard des types de ménages (nombre de personnes par ménage) susceptibles de bénéficier de l’intervention sociale, le projet d’arrêté propose de déterminer la part fixe pour un ménage d’une personne à 36 euros, à laquelle s’ajoute une part variable de 30 euros par personne supplémentaire composant le ménage. Ainsi, une personne isolée avec le statut BIM disposerait d’une aide directe de 36€/an. Un ménage composé de deux personnes, quant à lui, percevrait 66€/an.

Cette mesure sera évaluée endéans les 3 ans[12], ce qui est indispensable afin de s’assurer qu’elle est effectivement appliquée et répond aux objectifs à atteindre. Un maximum d’efforts devra être déployé pour éviter le phénomène du non-recours à ce nouveau droit. En effet, la nécessité de remplir, annuellement, un formulaire, pour les personnes « BIM » sous compteurs collectifs, pourrait largement hypothéquer la réalisation de ce droit.

3) L’octroi d’un plan de paiement raisonnable, par l’opérateur Vivaqua, à tous les ménages se trouvant en difficulté (passagère ou structurelle) de paiement de leur facture d’eau et sollicitant un tel plan.

Les conditions de ces plans de paiement sont balisées dans l’ordonnance de même que leurs définitions. L’ordonnance distingue le « plan de paiement standardisé », dont l’obtention est un droit pour l’usager[13], du « plan de paiement raisonnable » pouvant, lui, être refusé par Vivaqua dans une hypothèse précise.

  • Plan de paiement standardisé 

L’ordonnance prévoit que Vivaqua ne peut refuser une demande de plan de paiement d’une durée inférieure ou égale à 12 mois lorsqu’il s’agit d’une consommation normale, ou s’étalant jusqu’à 60 mensualités en cas de forte surconsommation. L’usager précise la durée de remboursement dans sa demande, sur laquelle l’opérateur doit statuer dans un délai de 10 jours ouvrables[14].

  • Plan de paiement raisonnable 

A défaut de pouvoir rembourser sa dette dans le cadre du plan de paiement standardisé précité (et ce au regard de sa situation financière), tout usager peut demander à Vivaqua, l’établissement d’un plan de paiement raisonnable plus long, avec un maximum de 18 mois pour une consommation normale[15].

L’ordonnance précise que « le caractère raisonnable du plan de paiement proposé, notamment quant à sa durée et au montant des paiements échelonnés, s’apprécie en fonction de l’équilibre qu’il établit entre l’intérêt de l’opérateur de l’eau (…), à obtenir le remboursement de sa dette dans un délai raisonnable et l’intérêt de l’usager à apurer celle-ci dans un délai adapté à sa situation financière. Un plan de paiement n’est pas raisonnable s’il porte atteinte à la possibilité pour l’usager et son ménage de mener une vie conforme à la dignité humaine »[16].

Vivaqua peut, dans ce cas de figure, refuser l’octroi d’un plan de paiement raisonnable dans une hypothèse particulière : à savoir, lorsque dans le cadre un plan de paiement précédemment octroyé, plus de trois échéances n’ont pas été honorées et que la facture sous-jacente audit plan de paiement demeure, ne fût-ce que partiellement, impayée. Ce motif de refus ne peut toutefois être invoqué lorsque la demande de plan de paiement est introduite par le biais d’un CPAS ou d’un service de médiation de dettes agréé.

Il est également important de noter que Vivaqua peut résilier un plan de paiement raisonnable uniquement en cas de non-paiement de trois échéances par l’usager, et après lui avoir adressé une mise en demeure.

Il faut donc souligner très concrètement que l’ordonnance, face à une dette découlant d’une consommation normale, n’autorise pas de plan de paiement d’une durée supérieure à 18 mois. Pour tempérer la difficulté dans laquelle cette limite pourrait plonger l’usager[17], l’ordonnance prévoit que tout excédent de dette, cumulée ou non, ne pouvant être supportée par un usager dans le cadre du plan de paiement raisonnable qu’il a sollicité auprès de Vivaqua, est pris en charge par le Fonds social de l’eau, moyennant toutefois la décision favorable du CPAS de la commune où l’usager a élu domicile.

4) Le retour à la tarification linéaire pour tous les résidents de la RBC, et donc l’abandon de la tarification progressive mise en place en 2006, du fait de la non réalisation des objectifs de solidarité et écologiques que cette dernière était censée atteindre.

Il apparait, en effet, que cette tarification progressive n’avait pas honoré les objectifs sociaux escomptés, dans la mesure où les personnes isolées ou à bas revenus n’en tiraient nullement d’avantage évident (leur consommation de base restant élevée en raison notamment du mauvais état des sanitaires, d’équipements électroménagers moins économes en eau, etc.), mais qu’en outre, elle n’amenait pas forcément les consommateurs à une utilisation plus rationnelle de l’eau (inélasticité de la consommation en eau par rapport à son prix)[18].

Il faut remarquer que la nouvelle ordonnance mentionne également l’existence d’un tarif fuite[19].

5) Une meilleure information des usagers, comme mesure préventive et de transparence, entre l’opérateur et ses clients.

Concrètement, le contenu de la facture sera revu pour renforcer l’information des usagers sur leurs droits. Elle fournira toute une série d’informations complémentaires, notamment sur l’intervention sociale, la possibilité de solliciter un plan de paiement raisonnable et/ou l’aide financière du Fonds social de l’eau, le tarif spécifique en cas de fuite, etc. Ces informations permettront à chaque usager de mieux connaître les services existants pour les aider à faire face à leurs factures.

 

 

[1] Résolution du 30 avril 2019 du Parlement bruxellois concernant l’accès à l’eau pour toutes et tous et la lutte contre la précarité hydrique en Région de Bruxelles-Capitale.

[2] Composent ce groupe : Vivaqua ; Brugel ; Bruxelles Environnement ; le Service interfédéral de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale ; les acteurs de la lutte contre la pauvreté, l’endettement et la précarité hydrique (Infor GazElec, le Centre d’Appui SocialEnergie de la FdSS, Services de Médiation de Dettes, Fédération des CPAS – Brulocalis) ; juges de paix ainsi qu’un groupe de chercheurs de l’ULB.

[3] Ordonnance du 24 décembre 2021 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau et de l’ordonnance du 8 septembre 1994 réglementant la fourniture d’eau alimentaire distribuée par réseau en Région bruxelloise en vue d’y insérer des mesures sociales, publiée au Moniteur belge le 17 janvier 2022, http://www.ejustice.just.fgov.be/eli/ordonnance/2021/12/24/2021043644/moniteur

[4] Projet d’Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du XX portant exécution de certaines mesures sociales prévues dans l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau. Une fois adopté, cet arrêté entrera en vigueur, rétroactivement, au 1er janvier 2022.

[5] Vivaqua. Conditions générales de la distribution d’eau et des services d’assainissement 

[6] Voy. nouvel art. 38/1. § 3 de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[7] L’ordonnance identifie les bénéficiaires de l’intervention sociale comme étant les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance soins de santé au sens de l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994.

[8] Augmentation tarifaire estimée pour une consommation normale (35 m³/pers/an).

[9] Voy. nouvel art. 38/1. § 1er de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[10] Voy. nouvel art. 38/1. § 1er de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[11] Décision 181 concernant l’approbation de la proposition tarifaire adaptée de VIVAQUA portant sur la période régulatoire 2022-2026, 7 décembre 2021 (BRUGEL-Décision-20211207-181).

[12] Voy. nouvel art. 38/1. § 1er , dernier alinéa, de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[13] Voy. nouvel art. 38/1. § 2 , alinéa 1er , de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[14] Voy. nouvel art. 38/1. § 2 , alinéa 2, de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[15] Voy. nouvel art. 38/1. § 2 , alinéa 3, de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[16] Voy. nouvel art. 38/1. § 2 , alinéa 7, de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.

[17] En cas de relevé d’index réel par Vivaqua, après quelques années d’index estimés, une facture d’eau de régularisation pourrait conduire à une facture colossale, portant sur des années de « consommation normale », et difficile à éponger en 18 mensualités.

[18] Voy. notamment, sur cette question : X.May, J.-M. Decroly, L. de Guiran, P. Bacqaert, C. Deligne, P. Lannoy et V. Marziali (ULB), « Pourquoi ne pas en finir avec la tarification progressive de l’eau à Bruxelles ? », in Brussels Studies, 2021, https://urlz.fr/hg9w

[19] Voy. nouvel art. 38/1. § 5, de l’ordonnance du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, introduit par l’ordonnance du 24 décembre 2021.