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Plan de paiement : les recommandations du CASE

Publié le: 20/06/2020 - Mis à jour le : 06/07/2020

Le CASE publie, à l’attention des parlementaires, du régulateur bruxellois de l’énergie Brugel, des fournisseurs et des acteurs de première ligne, une note concernant les balises encadrant un plan de paiement. Dans celle-ci nous abordons les différents aspects de la législation actuelle, nous partageons des réflexions pouvant servir à légiférer de la manière la plus pertinente possible sur ces questions et nous émettons des recommandations. La question centrale est la suivante : comment un consommateur vulnérable et endetté pourrait-il respecter un plan de paiement, imposé unilatéralement par le fournisseur, qui ne tiendrait pas compte de sa situation financière, familiale et sociale? 

La note: « Dette d’énergie et plan d’apurement raisonnable » 

Nous vous partageons ici nos recommandations finales, ainsi que l’introduction de la note. Nous vous invitons à consulter le document dans son ensemble pour vous faire un avis précis de la question et comprendre les différents éléments qui nous ont amenés à émettre ces recommandations.

Recommandations du CASE

  • Nous estimons que considérer que le revenu d’intégration sociale majoré des allocations familiales est une « limite infranchissable », un « revenu intouchable » lors de l’apurement d’une dette auprès d’un fournisseur, sous peine d’atteinte à la dignité humaine du débiteur, est une balise juste et pertinente.
  • Sur la procédure à suivre pour l’élaboration d’un plan de paiement raisonnable, nous requérons que le plan de paiement ne soit pas l’apanage des fournisseurs mais qu’il puisse être proposé initialement par le consommateur.
  • Nous soulignons le caractère inégal du rapport de force entre le fournisseur et la consommateur lors de l’élaboration d’un plan de paiement, et nous demandons le renforcement des rôles d’acteurs tiers (CPAS, services sociaux privés, Service de médiation, Service des Litiges de Brugel)
  • Nous souhaitons que le législateur prévoie la possibilité d’une remise partielle ou totale des dettes énergétiques lorsque c’est « la seule réponse socialement acceptable ».
  • Nous demandons que la conclusion d’un plan de paiement ne puisse pas être accompagnée de frais supplémentaires.

Pour finir, l’accès à l’eau étant aussi un droit fondamental, nous invitons le législateur à prévoir des protections similaires en matière de plan de paiement, dans les Ordonnances bruxelloises relatives à l’eau1 et à concrétiser les mesures définies dans la résolution du 30 avril 20192. Les modalités prévues par Vivaqua, bien que constitutives d’une avancée, ne suffiront en effet pas à rencontrer l’ensemble des situations problématiques3.

Introduction de la note

Depuis août 2011, les fournisseurs d’électricité et de gaz sont tenus de proposer un plan de paiement raisonnable au ménage restant en défaut de paiement malgré un rappel et une mise en demeure4. En 2018, le législateur apporte les précisions suivantes : « Le caractère raisonnable du plan d’apurement, notamment de sa durée et du montant des paiements échelonnés, s’apprécie en fonction de l’équilibre qu’il établit entre l’intérêt du fournisseur à obtenir le remboursement de sa dette dans un délai raisonnable et l’intérêt du client à apurer sa dette dans un délai adapté à sa situation financière. Un plan d’apurement n’est pas raisonnable s’il porte atteinte à la possibilité pour le client et sa famille de mener une vie conforme à la dignité humaine. Brugel détermine les informations minimales que tout plan d’apurement doit contenir »5.

Par ailleurs, les Ordonnances bruxelloises « électricité » et « gaz »6 prévoient la possibilité pour le débiteur de négocier ou renégocier son plan de paiement lors du passage sous statut de client protégé.

Cependant, la notion de « plan d’apurement raisonnable » – à savoir acceptable pour le créancier en terme d’échéance de remboursement, tout en étant soutenable pour le débiteur au regard de l’ensemble de ses charges et ressources – n’a pas été balisée plus concrètement par le législateur, en dehors d’une référence à une notion – a priori « abstraite » – de dignité humaine.

Or, nous constatons sur le terrain une réelle difficulté pour le consommateur à négocier un plan raisonnable en raison d’un rapport de forces déséquilibré. Et pour cause : à la suite de la mise en demeure originelle, l’appréciation du caractère raisonnable du plan appartient uniquement aux fournisseurs. Or, excepté le montant de la dette, ceux-ci ne disposent d’aucune information utile relative à la situation personnelle du débiteur pour faire une proposition raisonnable pour les deux parties. Ceci aboutit à un traitement aléatoire et inéquitable entre clients.

Il nous paraît donc nécessaire de tracer les contours, de proposer des repères permettant d’évaluer le caractère raisonnable du plan d’apurement.

La question centrale est la suivante : comment un consommateur vulnérable et endetté pourrait-il respecter un plan de paiement, imposé unilatéralement par le fournisseur, qui ne tiendrait pas compte de sa situation financière, familiale et sociale ?

Dans le contexte actuel, nous craignons que la précarité de ces consommateurs s’accroisse et que leur dignité ne soit pas respectée. En effet, la pauvreté et la précarité ne sont pas d’abord une question d’argent (insuffisance de revenus et de ressources pour assurer des moyens de subsistance durables), mais bien une impossibilité de faire valoir ses droits, une impuissance à les exercer7. Selon Jean Labbens, « on est pauvre lorsqu’on n’arrive pas ou mal à s’approprier des droits (…), qui est vraiment un pouvoir sur autrui »8.

Légalement, pour être raisonnable, un plan doit respecter la dignité humaine du débiteur ; si l’on veut résolument accomplir cet objectif, le droit devrait désormais être plus précis encore, pour être plus opérationnel et dès lors « plus appropriable » par les débiteurs.

Par conséquent, nous aborderons d’abord, dans cette note, quelques points de repères utiles pour évaluer le caractère raisonnable d’un plan de paiement, en tentant de baliser la notion de dignité humaine (I). Nous verrons ensuite les stratégies et les enjeux de la négociation d’un plan de paiement (II). Dans cette perspective, nous relèverons le rôle indispensable des tiers pour équilibrer la relation entre le consommateur et le fournisseur (III).

[1] https://www.socialenergie.be/vers-un-droit-a-lacces-a-leau-pour-tous-des-concretisations-legislatives-au-niveau-de-la-region-bruxelloise/
[2] http://weblex.brussels/data/crb/doc/2018-19/137815/images.pdf
[3] https://www.socialenergie.be/plans-de-paiement-vivaqua-nouvelles-modalites/
[4] Article 25sexies, §1, de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale ; article 20quater, §1, de l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale.Dans la suite du texte, ces ordonnances seront appelées « ordonnance électricité » et « ordonnance gaz ».
[5] Brugel a entamé des consultations sur cette question début 2020. Les résultats ne sont pas encore connus.
[6] Article 25septies, §4, de « l’ordonnance électricité » ; article 20quinquies, §4, de « l’ordonnance gaz ».
[7] F. De Boe et H. Van Hootegem, « Introduction », in Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, Pauvreté et ineffectivité des droits, Bruxelles, La Charte, 2017, p. 1.
[8] J. Labbens, Sociologie de la pauvreté, Paris, Gallimard (Coll. Idées, n°393), 1978, pp. 93-94.